Le mythe Mitte

Antithèse de la ville-musée, Berlin ne cesse de se réinventer. Le Goethe Institut, grâce à une série de photos en noir et blanc, en raconte une période peu imagée : celle de l'immédiat après chute du mur. Saisissant. Nadja Pobel


Bien avant que les easyjetters ne jettent leur dévolu sur Berlin et que Mitte, le quartier central de la ville réunifiée (Porte de Brandebourg, Alexanderplatz...) ne soit inscrit au programme de tous les tour operators, la capitale allemande a été une gigantesque friche urbaine. Exposées au Goethe Institut (et dans une moindre mesure à la boutique Blitz), les photos du quotidien de sept Berlinois, prises au début des années 90, quand le mur est à terre mais que rien n'est encore reconstruit, en rendent compte, montrant ce que l'on n'avait jusqu'ici jamais vu. Si les images de la guerre, de la dévastation qui s'en est suivie en 1945, de la construction du mur, des no man's lands qui le borderont pendant les 28 ans de son édification et de sa chute sont célèbres, cette période-ci était en effet aveugle. Mitte était alors le seul cœur de Berlin, et les quartiers périphériques aujourd'hui très fréquentés de Friedrichshain et Kreuzberg des zones lointaines, désertées. La vie était à Mitte, là où, selon un des témoignages qui accompagnent les clichés, il y avait «un sentiment de liberté à couper le souffle». Un autre ajoute : «C'était comme si l'humanité avait décidé au même moment de faire un pas de côté et vivre chaque moment comme s'il arrivait. La vie était dans la file d'attente. Il y avait un vide – un vide culturel, politique, sociétal, économique. Et nous avons été les premiers à le remplir.»

Si près si loin

Sur les images, les enfants sont culs nus dans la rue, chacun squatte des appartements qui n'appartiennent à personne, installe des avions de chasse aussitôt customisés... Des galeries d'art sont montées dans les allées désormais huppées d'Augustraße ; juste à côté la Kleine Hambuger straße et Rosenthaler straße sont pleines de gravats. Mais fort intelligemment, cette expo n'invite pas à l'ostalgie, cette nostalgie assez dégueulasse de l'Est. Les photos rappellent au contraire que cette liberté nouvelle et galvanisante n'est que le dénouement heureux du sombre totalitarisme qui venait d'être vaincu par le peuple. Et que faute d'organisation, cette société naissante où rodaient encore quelques nazis n'était pas sans danger. En témoigne notamment la mort du chanteur Florian Vogelay, abattu par un détraqué. Ses obsèques donnèrent lieu à un vaste rassemblement pacifique de punks, comme le montre une image peu banale de cette exposition sensible, maillon manquant de la récente histoire d'une ville qui, même en proie à la gentifrication, demeure un extraordinaire espace de possibles.

Berlin Wonderland
Au Goethe Institut et à la boutique Blitz (Lyon 1er) jusqu'au 26 février

 


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