Aux yeux des vivants

Figure un peu plus qu'émergente des arts numériques lyonnais, directeur artistique du studio BK, qui a notamment "éclairé" la place des Terreaux le 8 décembre dernier, Arnaud Pottier est aussi à l'origine de l'installation "Golem", présentée au Mirage Festival. Un fascinant projet dans lequel, au croisement de la sculpture et du vidéomapping, du mythe et de l'inconscient, il donne vie à des statues. Stéphane Duchêne


Dans la mythologue juive, le golem est cette créature d'argile humanoïde à laquelle on peut donner et retirer la vie sur commande. Il suffit dans le premier cas de lui inscrire sur le front le mot hébreu Emet (qui signifie "vérité" et parfois "Dieu") puis, pour obtenir l'effet inverse, d'en effacer le premier "E", donnant ainsi Met (soit "mort"). Ce mythe remonte à la mystique du Talmud (où il est mentionné qu'Adam, le premier homme, a pu être un golem) mais la plus célèbre déclinaison en est sans doute celle de Prague, datant du XVIe siècle, où le rabbin Yeouda Loew engendra une telle créature pour protéger le ghetto juif, en proie aux pogroms.

Arnaud Pottier n'est à notre connaissance ni rabbin, ni versé dans le talmudisme ou même simplement mégalomane – ou alors il le cache bien. Il a pourtant décidé de donner vie non pas à des créatures de glaise mais à des statues ; là encore non pas en écrivant des mots magiques sur leur front, mais par une tout autre technique qui pourrait quelque part, pourquoi pas, s'y apparenter : le vidéomapping, soit, selon ses explications «la superposition d'un flux vidéo anamorphique, à base d'images 3D, 2D ou d'animations, sur une surface en volume».

«Pour donner l'illusion au cerveau que cet objet est en relief, précise-t-il, on va jouer avec les ombres et faire des déplacements de lumière impossibles qui vont donner une impression assez forte. Mais ce que je recherche avec le micromapping [la même technique appliquée à de petites surfaces, NdlR] et à travers Golem, c'est une approche plus intimiste et poétique, une sorte d'orfèvrerie qui privilégie le détail et la qualité de l'image à l'explosion d'effets du vidéomapping monumental [utilisé par exemple pour "animer" des bâtiments, NdlR].»

Sculpture augmentée

Golem est donc un projet de «sculpture augmentée» qui cherche par cette technique à donner la vie à une matière inerte, à «instiller de l'humain dans du non humain, ou du moins une représentation du non humain, avec des clignements d'oeil, des réactions de faciès.» A la croisée paradoxale du figé qui prend vie, se joue pourtant autre chose dont on ne peut faire l'économie et tenant au parcours artistique d'Arnaud Pottier, qui à travers sa pratique parvient aussi à combiner une autre dialectique : celle des arts "classiques" et des nouvelles technologies.

Au départ, Arnaud Pottier s'intéresse surtout aux premiers, débarquant à Lyon pour faire l'école préparatoire des Beaux-Arts avant d'entrer à Emile-Cohl, institution de l'enseignement graphique. Mais il ne cache pas, surtout pas à lui même, une sérieuse inclination pour toutes les formes de bidouillage d'ordinateur. L'évolution technologique aidant, ces deux marottes étaient irrémédiablement amenées à se rencontrer : 

«Avec l'arrivée d'Internet et d'un certain nombre de logiciels, l'articulation entre numérique et art s'est faite un peu d'elle même. C'est donc assez naturellement que j'en suis venu à mêler ce que j'avais appris à l'école avec mes expériences numériques.»

De là, la genèse dans l'esprit d'un Arnaud Pottier encore étudiant, de Golem. Sans doute dans la fascination du choc des contraires : le geste classique – pour ne pas dire antique – et la technologie, la pierre et le numérique, l'esprit et la matière, le vivant et la machine, le familier et l'inconnu.

Inquiétante étrangeté

Autant de frictions qui n'en font qu'une et d'où émerge, au cœur de Golem, la notion assumée d'«inquiétante étrangeté». A savoir quelque chose comme «le malaise né d'une rupture dans la rationalité rassurante de la vie quotidienne.» Le concept est développé par Freud en 1919 mais lui est antérieur, puisque Ernst Jentsch évoque dès 1906 l'idée d'un doute suscité par un objet animé dont on interroge le caractère vivant, ou un objet sans vie dont on pressent la possible animation, avant qu'Ernst Hoffman ne fictionnalise la chose dans L'Homme au sable dont le héros tombe amoureux d'une femme qui se révèle être un automate.

C'est d'ailleurs à partir de ce livre que Freud développe sa théorie, à partir de l'idée d'une angoisse générée par le retour du même et de celle du refoulement d'une représentation qui métamorphoserait l'affect en angoisse – il prend notamment l'exemple, après en avoir fait l'expérience, d'un reflet de soi-même dans un miroir que l'on prendrait l'espace d'une seconde pour une autre personne.

Or c'est exactement l'effet que recherche ce projet qu'Arnaud Pottier développera plus avant en juin avec les statues de la Chapelle du Musée des Beaux-Arts :

«Golem crée chez le public un double effet de fascination et de répulsion, un dérangement, qui nous interroge sur notre rapport au vivant, sur ce qui différencie l'humain d'une matière inerte. Quand les gens ont cette réaction de rejet c'est que l'effet d'inquiétante étrangeté a fonctionné.»

On n'en est bien sûr pas aux scènes de panique devant une statue de glaise déambulant dans le ghetto de Prague comme dans l'adaptation cinématographique de 1920 de Paul Wegener et Carl Boese, mais on vous garantit que ce Golem-là crée un trouble inédit et bien vivant.

Arnaud Pottier - Golem
Du jeudi 26 février au dimanche 1er mars au pôle ALTNET, dans le cadre du Mirage Festival


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