Des mots aux œuvres et vice-versa

Les écrits sur les arts plastiques du philosophe Lacoue-Labarthe viennent d'être réédités. Passionnants, ils résonnent en outre avec l'actualité artistique lyonnaise. Jean-Emmanuel Denave


Philosophe français, Philippe Lacoue-Labarthe (1940-2007) est connu notamment pour ses travaux sur Martin Heidegger et sur le romantisme allemand. Les Presses du réel ont eu la bonne idée de rééditer de manière posthume ses écrits sur l'art (photographie, peinture, sculpture... «les arts du silence» comme il les appelle), dispersés jusqu'alors dans des revues, des catalogues, des préfaces, et rédigés sur une période d'une trentaine d'années.

Si ces textes disparates ne peuvent aucunement être rassemblés sous une quelconque théorie de l'art, Jean-Christophe Bailly note dans sa préface qu'ils posent tous ou presque la question «qui est celle du sens de l'art, du sens qu'il y a à faire de l'art aujourd'hui, aujourd'hui encore...»

On pressent alors, et l'on a raison, que leur lecture ne sera pas toujours facile : il y sera question en effet de la mimesis chez Platon, de la fin de l'art chez Hegel, ou encore de Freud, Heidegger, Baudelaire ou Walter Benjamin. Mais quand on lit par exemple les deux derniers textes sur le photographe Thibaut Cusset ou sur une image d'Anne-Lise Farge, nos efforts sont récompensés : les œuvres prennent une épaisseur, des significations, des enjeux insoupçonnés, et l'on se dit alors que l'exercice de la critique d'art n'est ni désuet ni vain.

Du moderne au vertige

Ces écrits ont par ailleurs quelques liens avec l'actualité artistique lyonnaise. Lacoue-Labarthe s'y interroge en effet beaucoup sur le "moderne", notion selon lui encore non "accomplie" – que reprendront d'ailleurs les trois prochaines Biennales d'art contemporain de Lyon. Le moderne c'est, d'après le philosophe, ce moment où l'art s'est détaché du sacré (du moins du religieux), ce moment où il ne peut plus ni s'appuyer ni se tourner (et nous tourner) vers lui. Le philosophe écrit ainsi en parlant d'une toile de Malgorzata Paszko :

«Je voudrais désigner quelque chose qui fait signe vers la disparition du sacré et, dans ce mouvement même, le retient, non pas comme le sacré lui-même ni le regret du sacré, mais comme ce qui nous requiert et pour ainsi dire nous attend à la place du sacré.» 

Cet art moderne détaché du sacré et essentiellement voué à donner à voir le présent, aussi décevant soit-il (lire à ce propos le texte éblouissant Sur le théâtre des réalités), résonne beaucoup avec l'exposition collective RIDEAUX / blinds à l'Institut d'Art Contemporain.

Enfin, un petit texte de Lacoue-Labarthe est consacré à Scanreigh (né en 1950, l'artiste vécut longtemps à Lyon avant de rejoindre Nîmes), qui présente des dessins et des peintures récents à la galerie L'Antilope. Un univers singulier où couleurs, motifs, figures s'entremêlent et s'entrechoquent en d'étonnants puzzles. Le regard y chemine dans un certain vertige.

Scanreigh
A la galerie L'Antilope jusqu'au vendredi 6 mars

Philippe Lacoue-Labarthe - Écrits sur l'art (Presses du réel)


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