Des amants détonnants

Grâce à l'Opéra de Lyon, Jean Lacornerie signe la première adaptation en France du compact "Roméo et Juliette" de Boris Blacher. Et tient enfin sa grande mise en scène en tant que directeur du théâtre de la Croix-Rousse. Nadja Pobel


Les contraintes ont du bon. Bien sûr, la production de l'Opéra de Lyon offre à Jean Lacornerie plus de moyens qu'il n'en a probablement jamais eus, à tout le moins des moyens que le théâtre de la Croix-Rousse seul ne pouvait déployer. Reste qu'une fois cette question financière évacuée, force est de constater que le canevas serré de cette pièce a obligé le metteur en scène à être concis, précis et inventif.

Par le passé, depuis son arrivée dans ce théâtre en 2010, Lacornerie avait signé de très enthousiasmantes versions de Mesdames de la halle et, sur un ton plus désinvolte, de la comédie musicale Bells are ringing en novembre 2013. Mais Jean Lacornerie s'était aussi accordé des parenthèses qui, bien que se voulant légères, n'étaient guère un amusement pour le spectateur, comme l'inachevé Broadway melody ou très récemment des Menu : plaisirs sans queue ni tête.

Voilà qu'avec Roméo et Juliette, il trouve la matière idéale pour, à la fois, explorer encore cette allégresse qu'il affectionne et tendre vers la gravité inhérente à la période historique où cette œuvre fut créée : les années 40. Á l'époque, Boris Blacher, considéré comme dégénéré par le régime nazi, resta à Berlin et, se cachant avec quelques autres dans des caves, entreprit d'écrire une version expurgée des scènes annexes à celles du couple-titre (elle dure de fait 1h15), afin qu'elle puisse être jouée dans tous les lieux possibles, fût-ce sous les bombes. Cependant, trop admirateur de Shakespeare pour en travestir la langue, Blacher conserva l'anglais, sauf dans le cas de la diseuse, la seule à s'exprimer en allemand.

De Vérone à Berlin

L'atmosphère de l'époque est palpable dès l'entame du spectacle où les sous-titres s'écrivent au dos de graffitis et où le sombre domine, avant que le fond de scène ne soit tapissé d'une immense et saisissante photo d'un Berlin dévasté (en réalité Dresde, mais peu importe) où chaque immeuble est à ciel ouvert. De l'Allemagne, Lacornerie restitue aussi les cabarets joyeux et colorés qui l'ont inspiré par le passé et qui, ici, entrèrent dans le processus même d'écriture de l'œuvre, Blacher les ayant beaucoup fréquentés.

Un décor astucieux se découvrant peu à peu, une scène mythique désacralisée (celle du balcon), des jeux de masques délicats, un couple qui se trouve momifié dans un simple sopalin déroulé au kilomètre : Lacornerie a surtout trouvé l'équilibre parfait pour décrire les enjeux dramatiques de la célèbre tragédie puis en sourire sans jamais les moquer.

De son côté, Philippe Forget mène avec souplesse ses neuf musiciens et les voix, notamment, de Laure Barras (Juliette) et April Hailer (la nurse et la diseuse), parachèvent cet impeccable spectacle.

Roméo et Juliette 
Au Théâtre de la Croix-Rousse mercredi 4 mars


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