Un jour en France

En général, lorsqu'un journaliste se déplace dans un village, c'est parce qu'il s'y est produit une catastrophe. Florence Aubenas y est allée pour rencontrer des français normaux, sans histoire. Ou peut-être que si justement : des histoires à hauteur d'homme, qu'elle a compilée dans son nouvel ouvrage, "En France", dont elle discutera à la Fête du livre de Bron. Valentine Martin


De l'Irak à la Syrie, elle a sillonné tous les points chauds du globe. Mais depuis quelques années, elle a enfin posé ses valises en France pour de bon. Grand reporter, Florence Aubenas s'est du coup vu proposer par le journal Le Monde (où elle travaille depuis 2012) une nouvelle expérience : tenir une chronique sur le quotidien des Français. Après avoir couvert les grands procès de France et s'être fait passer pour une demandeuse d'emploi dans Le Quai de Ouistreham, elle n'a pas hésité une seconde.

Entre 2012 et 2014, Florence Aubenas a régulièrement pris sa voiture (ou le train de 5h du matin) direction la province, à la découverte ce que tout le monde croit connaître déjà. En France est un recueil de des chroniques qu'elle a tirées de ces déplacements,   une fine mosaïque de portraits qui retrace des bouts de vies, des moments de tous les jours. Florence Aubenas ne voulait pas cibler une population particulière, alors elle les a toutes rencontrées : paysan, chauffagiste, syndicaliste, jeune dealer, maman au foyer...

Pourtant une classe sociale se dessine : celle dite moyenne, voire moyenne moins, celle qui se lève tôt et qui ne parvient pas toujours à joindre les deux bouts. Ce sont eux que la journaliste a rencontrés et écoutés. Plus important, elle leur a donné la parole, à eux qui ont l'impression d'être les grands perdants de la crise. «Plus personne ne nous trouve intéressants : on n'a même plus le droit d'être des consommateurs» constate ainsi avec amertume un jeune homme dans un village où la dernière station service est en passe de disparaître.

C'est arrivé près de chez nous

Le livre est découpé en trois parties. La première, "En campagne", est à comprendre dans les deux sens du terme ; la campagne géographique et la campagne électorale. Cette dernière se termine avec les élections municipales à Hénin-Baumont qui virent Steeve Briois, représentant du FN, l'emporter au premier tour.

La deuxième, intitulée "Au camping", se déroule durant la première quinzaine d'août 2013 à Piémanson, seule plage de France où le camping sauvage est encore autorisé et où un royaume de la débrouille et de l'entraide s'invente le temps d'un été, libéré des contraintes d'une société asphyxiante.

La dernière, "Une jeunesse française" est la plus intrigante et la plus brutale : une immersion dans la vie de jeunes en marge de la société. Le recueil se termine ainsi sur l'histoire de Narcissa, une jeune fille rom vivant dans un immeuble insalubre et rêvant de devenir danseuse.

Dans tous les cas, Florence Aubenas ne s'encombre pas d'un style trop littéraire, au-delà de quelques métaphores bien choisies. Reportage oblige – ce qu'elle sait de toute façon le mieux faire – les mots sont simples et les phrases courtes, ciselées pour aller droit au but : dire un quotidien méconnu et pourtant trop commun.

Invitée cette année à la Fête du livre de Bron, Florence Aubenas se penchera sur une autre acceptation du terme. Le commun, il en est question de façon presque anecdotique dans ce recueil, lorsqu'un syndicaliste explique que désormais, les manifestations ne rassemblent plus. Que ce sont les petites causes individuelles qui font bouger les gens. C'est plutôt en filigrane que Florence Aubenas pose  la question : qu'a-t-on en commun avec les personnes qu'elle a rencontrées, fut-ce un électeur FN ou une jeune fille qui devient mère pour avoir «un statut» ? Car leurs histoires dessinent «en pointillé un territoire, la France», mais aussi un «nous». Attention cependant, il ne s'agit pas ici d'un énième discours moralisateur ou d'une théorie sur le vivre ensemble. Florence Aubenas le déclare d'emblée dans son introduction, elle n'est pas là pour ça. Elle ne juge pas, n'émet pas de commentaire, se contentant de tendre l'oreille et de rapporter les voix de ceux qui ne se sentent pas entendus. Á nous de dresser le constat.

La France à hauteur d'homme
Rencontre avec Florence Aubenas
A l'Hippodrome de Parilly samedi 7 mars


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