L'amour à la machine à écrire


Au beau milieu d'un XVIIIe siècle qui cherche des dorures de plus en plus dorées et des ornements de plus en plus ornés, Christophe Gluck prend un sacré contrepied et compose un opéra d'une simplicité émouvante. Orphée et Eurydice contraste en effet sauvagement avec les mœurs esthétiques et musicales de l'époque – écrire un opéra à trois personnages, sans plus d'esbroufe, il fallait le faire.

Inutile de revenir sur Ovide, qui installa le mythe fondateur, ou sur les quelques modifications apportées par Gluck : de la beauté, de l'amour, du tragique, un esprit champêtre qui se fissure vite et nous voilà au cœur de ce drame humain qui traverse les grands opéras. Que faire du vide ? Que faire de l'absence ? Que faire de soi-même après la perte d'un être cher ?

Ce n'est pas parce qu'il est "le plus en vue du moment" que la mise en scène de David Marton fait mouche. Sans tralala, le jeune hongrois pose un décor unique, sorte de no man's land ensablé, d'entre-deux cotonneux, puis par petites touches,  tisse judicieusement son propos. Sa plus belle idée, certes un peu schizophréne : montrer non pas un mais deux Orphée. L'un, comme il se doit, jeune et beau, l'autre vieux et ravagé par la douleur d'avoir perdu Eurydice. Marton va jusqu'à faire chanter simultanément le même air aux deux Orphée, pour l'occasion transposés en écrivains,  comme une possibilité éphémère que les temps se confondent.

Le tout fonctionne assez bien, à l'exception de ce choeur de six enfants, censés représenter l'Amour et tout son vécu de leurs voix si pures, si fragiles, si parfaites... Dès leur arrivée en petits soldats blancs maladroits, l'étonnement s'installe et ne nous quitte plus : comment Marton a-t-il pu se laisser aller à pareille facilité ?

Victor von Halem campe pour sa part un vieil Orphée que chacun a envie de consoler. Convaincant comme acteur, il chante avec une élégance rare, son timbre chaud et rond – sans puissance exagérée – se révélant proprement bouleversant.

On ne peut en dire autant des deux jeunes héros. Christopher Ainslie est un Orphée certes très séduisant, avec son t-shirt blanc près du corps et son costume de gendre idéal,  mais guère plus –on doute que sa voix de contre-ténor, non contente de ne transporter personne, fasse peur au Cerbère. 

Quant à Elena Galitskaya, on l'a connue plus en forme vocalement et plus présente scéniquement. Restent des chœurs très investis et d'une belle homogénéité et, surtout, la direction musicale d'Enrico Onofri, précise,  d'une grande finesse et libérée de toute contingence formelle, qui sert à merveille et les chanteurs et Gluck.

Orphée et Eurydice
A l'Opéra de Lyon jusqu'au 29 mars


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