Le trou de la serrure

Quand le théâtre se coltine une réalité tragique sans faux-semblant, cela donne "Agnès", une pièce écrite et mise en scène par Catherine Anne, violent, étouffant et sidérant travail sur le thème de l'inceste et du viol. Nadja Pobel


La peur surgit littéralement de la boîte et constitue, de fait, le premier sentiment qui traverse le spectacle.

Agnès a 12 ans, c'est son anniversaire, et elle reçoit un cube noir d'où sort un diable : sa mère lui offre son premier soutien-gorge. Un geste qui non seulement manque de tact,  mais appuie aussi sur l'immense blessure du viol. Car Agnès est abusée par son père. Elle est sa «distraction» dans une vie d'échec qu'il ponctue énigmatiquement de citations toutes faites en latin. Son épouse est bouffée par l'angoisse, lui-même se méprise et craint de ne pas pouvoir subvenir aux besoins de sa petite famille. Quant à sa propre mère, elle est certes adorable, mais coupable de ne pas voir ce qui se joue sous ses yeux – y compris la menace qui pèse sur une petite sœur qu'Agnès n'a pas la force de sauver de ces griffes-là.

Catherine Anne, qui a écrit ce texte il y a déjà vingt ans, ne tombe à aucun moment dans la psychologie. Elle pose ses pions, les avance à toute allure dans de très courtes saynètes qui n'ont pas forcément le temps d'exister, mais ce rythme haché confère à la pièce une sécheresse très raccord avec son propos : ce n'est pas agréable,  ce n'est de toute façon pas fait pour.

Ad libitum

Le décor, sorte de petite maison sur deux niveaux, vaut plus par ce qu'il cache que par ce que l'on voit. Le balcon-couperet qui navigue d'un étage à l'autre paraît même un gadget à côté de ces portes sans cesse ouvertes sur le mensonge et refermées sur le non-dit.

C'est plutôt sur les comédiennes que repose le spectacle. Toutes des femmes. Un parti-pris qui vaut tous les discours féministes et humanistes. Et puisque l'union fait leur force, Agnès est interprétée par trois actrices (au stade de son enfance, de son adolescence puis en tant que jeune adulte). Elles se croisent, co-existent même, et il faut bien cela pour dire à quel point cette gamine a été mise en pièces et comment c'est en retraversant ces périodes, notamment par l'intermédiaire d'un procès (évoqué mais non joué sur le plateau), qu'elle pourra se reconstruire.

Elle n'a pas eu de père mais un propriétaire, sera-t-elle capable de lui dire en face. C'est cette violence-là que Catherine Anne, de retour en Rhône-Alpes avec sa compagnie Á Brûle-pourpoint après avoir dirigé dix ans le Théâtre de l'Est parisien, transmet brillamment.

Agnès
Jusqu'au vendredi 27 mars au TNP


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Soirées du 25 au 31 mars