Reprises

Sous l'intitulé "La Double vie des images", le Réverbère rassemble une dizaine de photographes travaillant à partir d'images existantes. Une "réincarnation" artistique qui peut avoir plusieurs visées : politique, critique, poétique, mélancolique, surréaliste... Jean-Emmanuel Denave


Si la photographie peut être considérée, rapidement et un peu superficiellement, comme le prélèvement en deux dimensions d'un fragment de réel, elle est devenue, depuis des lustres, elle-même une réalité tangible. Un fourmillement d'images de toutes origines (amateurs, artistiques, publicitaires...) et de toutes époques.

Du coup, certains artistes et photographes ne se privent pas d'y effectuer eux-mêmes des "prélèvements" pour construire et composer d'autres images ! Le processus est potentiellement infini, les images pouvant ainsi se nourrir d'elles-mêmes dans un grand jeu anthropophage, à l'instar d'une conception de la littérature comme un vaste palimpseste.

Cette «double vie des images» (voire triple, quadruple,  etc.), cette métempsychose du visuel, date au moins du début du XXe siècle avec les collages Dada de Kurt Schwitters ou ceux surréalistes de Max Ernst. Plus récemment, on peut citer le travail à partir d'images préexistantes de Martin Parr, Céline Duval ou Eric Rondepierre.

 La passionnante exposition du Réverbère réunit huit artistes qui, eux aussi, glanent des images pour les transfigurer en des œuvres nouvelles.

Les vies minuscules

Parmi les œuvres présentées, les trois panneaux d'images d'Emmanuelle Fructus (née en 1972) sont sans doute les plus impressionnantes.

Collectant des photographies amateurs, l'artiste y découpe et détoure, méticuleusement, des images d'individus saisis en noir et blanc, qu'elle aligne ensuite par petits groupes thématiques de cinq ou six personnes. Chaque panneau final compte quelque 1500 individus, classés selon leur sexe, leur âge, leur tenue vestimentaire... Des hommes, des femmes, des enfants "sans qualité" qui à la fois font masse foisonnante et qui, peu à peu, attirent notre regard sur des détails (une coiffe originale, une bizarrerie des traits, une attitude décalée...) comme autant de parcelles de vies minuscules. Le travail d'Emmanuelle Fructus oscille ainsi entre celui, sociologique, d'August Sander et celui, plus existentiel et mémoriel, de Christian Boltanski.

En face, le tout jeune William Nefussi présente sa collection d'images de ventes de miroirs capturées sur le site Le Bon Coin. Il faut se forcer à regarder une à une ces images qui s'avèrent alors d'une richesse involontaire stupéfiante, où les reflets s'affolent et les effets de champ-contrechamp se donnent toutes les libertés !

Autres œuvres d'une beauté plastique aussi bluffante que due au hasard ou à la patine du temps : les négatifs récupérés par l'Allemand Joachim Schmid pour sa série Arcana. Griffées, surexposées, trouées, sur-imprimées, les images semblent ici non seulement connaître une deuxième vie, mais en avoir une propre et autonome.

La double vie des images
Jusqu'au samedi 28 mars au Réverbère


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