L'habit ne fait pas le moine

Fruit de l'improbable rencontre entre le chorégraphe Sidi Larbi Cherkaoui et des moines du temple Shaolin, "Sutra" donne à voir les puissants contrastes de la Chine dans un grand et beau geste martial. Et arrive enfin à Lyon, sept ans après son triomphe en Avignon. Benjamin Mialot


Quand ils ne sont pas occupés à se forger un corps et un mental d'acier, les pensionnaires du monastère Shaolin se donnent en spectacle aux quatre coins du monde, dans des démonstrations d'arts martiaux où leur virtuosité est employée à mauvais escient :comme une couverture d'un trafic de bracelets porte-bonheur, là où elle devrait être pur véhicule de leur pensée bouddhiste.

Elle l'est toutefois dans Sutra, une pièce pour une vingtaine de moines guerriers et un danseur imaginée en 2007 par Sidi Larbi Cherkaoui lors de séjours au dit temple, perché au sommet de l'une des cinq montagnes sacrées que compte la Chine – le mont Song, à l'est du pays. Fan de Bruce Lee et alors en quête d'une sérénité ravie par l'accueil mitigé réservé à son précédent travail (Myth), le chorégraphe y a fait l'expérience d'une discipline de vie plus raccord avec ses aspirations – il est végétarien et indifférent à l'alcool depuis l'adolescence – que celle de sa Belgique natale. Et rencontré des jeunes gens mus par «une véritable envie de s'exprimer, de tendre une main».

A fond la caisse

Sa belle idée est de les avoir laissé le faire à leur manière, le long de passes d'armes (sabre, hallebarde, bâton...) et routines imitatives (du scorpion au singe en passant par l'homme ivre, popularisé par Jackie Chan) mettant en valeur leur détente, leur rapidité d'exécution et leur sensibilité au monde hors du commun.

Pour autant, Sutra ne se résume pas à une succession de taolu (ainsi que l'on nomme les enchaînements de formes typiques du kung-fu) et de duilian (la même chose, mais à plusieurs et sur le mode de la confrontation) mis en musique – d'une saisissante mélancolie et interprétée en fond de scène par cinq instrumentistes. Tout l'enjeu pour Cherkaoui a été de les mettre en espace et en cohérence avec sa propre vision des choses, fondée sur une bienveillance instinctive vis-à-vis de son prochain.

Sa matérialisation passe par une scénographie modulable à base de caisses en bois, contribution du plasticien Antony Gromley : tour à tour cercueils ou couchages, arbres cachant des envahisseurs ou feuilles de lotus se déployant délicatement, dominos géants ou gratte-ciels parmi lesquels défilent des cadres dynamiques, leur agencement épouse la monstrueuse beauté qui est celle de l'Empire du milieu depuis son industrialisation éclair – comme de Pattaya chez Jean-Noël Orengo, on ne revient jamais vraiment de Pékin, Shanghai ou Hong Kong.

Elle passe aussi et surtout par la présence d'un occidental (à l'origine Cherkaoui lui-même), d'abord figure cosmogonique qui s'ignore – les premiers changements de tableau le voient agencer des caisses miniatures – puis paumé qu'un enfant guidera au terme de ce qui a tout d'un périple initiatique. «Le vrai voyageur ne sait pas où il va» dit le proverbe. Et c'est précisément dans cette tension entre l'extérieur et l'intérieur, l'individu et la communauté, la grâce et l'énergie, que réside la réussite de Sutra.

Sutra
A la Maison de la danse jusqu'au vendredi 3 avril


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