Bande à part

D'abord regroupement informel de jeunes jazzmen en mal de sensations scéniques, le Grolektif est aujourd'hui un modèle de foisonnement et de résilience DIY. A la veille de son 11e anniversaire et de la 4e édition de son festival étendard, récit d'une belle aventure commune. Benjamin Mialot


«Pourquoi les collectifs se multiplient-ils ?» se demande en Une de son tout premier numéro la revue trimestrielle Théâtre(s) Magazine. Fondateur du Grolektif, au même titre qu'une quinzaine d'autres diplômés du Conservatoire de Lyon et de l'École National de Musique de Villeurbanne, Romain Dugelay a sa petite idée sur la question :

«C'est une réaction face à une certaine économie et un certain climat.»

Á rebours de l'austérité libérale et du retour de l'ordre moral (moins de bruit, moins de blagues, moins de mélanges), cette forme d'organisation un rien utopique s'impose en effet de plus en plus, dans le champ culturel mais pas que, comme le meilleur moyen non seulement d'assumer les risques économiques inhérents à la création, mais aussi de remettre en cause certains acquis artistiques. Et ça, le Grolektif l'a compris dès 2004.

Les petits bals perdus

Á l'époque, âgés d'une vingtaine d'année, frais émoulus de leurs hautes écoles et pour beaucoup multi-instrumentistes, Romain Dugelay et ses compagnons sont mus par un simple besoin, commun à tous les jeunes diplômés : celui de passer de la théorie à la pratique.

«Notre première motivation était simplement de jouer. Avec un cursus jazz comme le nôtre, il n'était pas évident de trouver sa place dans le circuit de diffusion traditionnel»

résume ce saxophoniste à la belle gueule de popstar britannique. La petite troupe imagine alors des rendez-vous de répertoire récurrents, prémices du fameux Bal du Grolektif, une «belle récréation où tout le monde est content et ivre» qui, avec ses reprises de standards et de plaisirs coupables, deviendra emblématique de l'esprit à la fois festif et expérimental du Grolektif.

Pour l'heure, c'est dans les cafés-concerts, en tête L'Autre Côté du Pont et La Boulangerie du Prado, que ses membres originels se font la main et posent les principes collectivistes (mise en commun des moyens, processus de décision collégial) de son organisation. Émulation oblige, chacun développe peu à peu des envies de compositions originales. De premiers groupes apparaissent et, dans leur sillage, les premières questions de professionnalisation.

D'«anarchie organisée», le Grolektif devient une véritable démocratie auto-gérée où, autour d'un noyau dur d'une dizaine d'activistes, gravitent une bonne soixantaine de musiciens. L'année 2008, marquée par l'arrivée de Joël Dziki à un poste d'administrateur, la co-création d'un lieu dédié aux «musiques innovantes» (le Périscope) et le lancement d'un label (qui publiera d'emblée pas moins de cinq disques), est à ce titre représentative de la mutation qui s'opère alors.

Ils vieilliront ensemble

Mais s'il s'attire la relative bienveillance de collectivités (DRAC, région, ville) qui peinent à cerner sa démarche, difficilement inscriptible dans les cases étriquées des dossiers de demande de subvention, le Grolektif n'en perd pas pour autant de vue ses idéaux. Au contraire, ils sont les garants de sa cohérence artistique.

Quel rapport entre le big band sur ressorts Bigre! et le noisy jazz pétaradant de Kouma, entre la free ambient immersive de CT4C et le blues avec vue du Migou (ou l'électro-pop fantasmagorique d'Erotic Market, qui fit ses débuts au sein du collectif), pour ne citer qu'une poignée de la dizaine de groupes qui composent la galaxie Grolektif actuellement ? Un certain goût du métissage entre méthodologie jazz et impulsivité pop. La volonté d'animer le territoire lyonnais. Et surtout le fait que leurs affiliés s'attachent «plus aux individus et à ce qu'ils peuvent apporter aux autres artistiquement qu'à une esthétique.

Á la différence d'autres collectifs qui revendiquent une identité, nous revendiquons surtout une façon de faire les choses. Une autre manière d'organiser l'autoproduction et de générer de l'artistique»

explique Romain Dugelay.

Cette façon de faire, le Grolektif se doit désormais de l'exporter et de la transmettre à la génération suivante. Le constat date de son dixième anniversaire, fêté l'an passé. Il sera au cœur de la quatrième édition du festival Collision Collective. Créé dans l'idée de mettre en lumière ce do it yourself en bande organisée et les synergies qui peuvent se créer entre des salles et des équipes musicales développant un propos qui ne soit pas uniquement sonore, il proposera quatre jours de concerts et débats en présence de pas moins de onze regroupements apparentés venus de toute la France. L'enjeu, en termes d'effets de réseau, est de taille :

«Très peu de producteurs sont intéressés par les musiques émergentes ou non rentables. On n'a pas le choix. Si on veut les faire entendre, on doit le faire nous-mêmes. Aucun tourneur ne va risquer sa peau à miser sur des groupes qui ne seront pas têtes d'affiche avant une révolution médiatique et culturelle qui ne viendra jamais»

conclue Joël Dsizy.

Pas sûr, à voir comme le Grolektif s'en sort, qu'il faille le déplorer.

Le bal du Grolektif
Á l'Épicerie Moderne jeudi 2 avril

Collision Collective #4
Au Hot Club, au Périscope et au Marché Gare du mercredi 8 au samedi 11 avril


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