Revoilà Maguy

La compagnie Maguy Marin, le lieu expérimental Ramdam : deux aventures artistiques qui n'en finissent pas de se réinventer et qui, aujourd'hui, s'allient l'une et l'autre pour un nouveau projet atypique nommé "Ramdam, un centre d'art". La reprise du chef-d'œuvre de Maguy Marin "May B" en sera le premier temps fort. Jean-Emmanuel Denave


La pièce de Samuel Beckett Fin de Partie s'ouvre paradoxalement sur ces mots : «Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut-être finir.» La fin, chez l'écrivain irlandais, s'avère être toujours incertaine, improbable ou inatteignable, ouverte en tout cas à d'autres horizons, d'autres fins (au sens de buts) possibles.

Ces mots émanent parfois des visages crayeux des danseurs de May B. Ils sont articulés entre deux murmures, entre deux gloussements, entre deux déplacements boiteux, poussifs, cabossés... Créée en 1981, la pièce de Maguy Marin embrasse en une heure et demi l'univers de Beckett. Elle est aussi un condensé de la condition humaine, à travers dix individus largués dans le vide, la poussière et une désespérance teintée d'humour. Dix membres d'un groupe incertain qui tour à tour se referme sur lui-même, tangue, se disloque, puis se rabiboche «tant mal que pis encore.»

 Depuis plus de trente ans, les gestes infimes, intimes et heurtés de ces dix personnages en quête d'eux-mêmes et d'autrui, bouleversent les spectateurs du monde entier, de tournée en tournée.

Imagination morte, imaginez

Symboliquement, Maguy Marin reprend May B à Ramdam, où sa compagnie s'est établie récemment,  après deux années passées à Toulouse et, précédemment, douze années à la tête du Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape. «Nous n'avons pas trouvé d'espace de frottement à Toulouse qui nous convienne  précise Maguy Marin,  c'est pourquoi nous avons décidé de revenir à Lyon autour du projet "Ramdam, un centre d'art".»

Ramdam, c'est une ancienne menuiserie située à Sainte-Foy-lès-Lyon, acquise par Maguy Marin en 1995. La chorégraphe met à l'époque cet espace à la disposition d'un collectif (deux salariés permanents et beaucoup de bénévoles) qui, depuis 1997, accueille des danseurs, des metteurs en scène, des musiciens en résidence, et s'ouvre régulièrement au public pour présenter des spectacles ou des étapes de travail.

Avec l'implantation de la compagnie (et donc un renfort substantiel de permanents), des envies d'extension,  de nouveaux projets artistiques et des conditions de travail améliorées au fil du temps, Ramdam poursuit à la fois son cheminement et franchit une étape supplémentaire :

 «Avec d'autres artistes, je souhaite, par ce nouveau mouvement, réinvestir très concrètement cet espace, pour en faire un lieu propice à stimuler l'effervescence d'un partage politique qui fasse de la question de l'art et du poétique le lieu d'un exercice du voir, de l'entendre, du sentir, du penser, du dire, tout en répondant aux nécessités liées au fonctionnement de la compagnie.»

Hétérotopie

Patrice Conte, président de l'association Ramdam, rappelle lui aussi les dimensions politique et créative de l'invention d'un tel lieu intermédiaire (entre la friche et la salle de spectacle), où l'expérimentation est aussi bien économique qu'artistique. Lieu que l'on pourrait encore définir en termes beckettiens : «D'une part le dehors, de l'autre le dedans, ça peut être mince comme une lame, je ne suis ni d'un côté ni de l'autre, je suis au milieu, je suis la cloison, j'ai deux faces et pas d'épaisseur, c'est peut-être ça que je sens, je me sens qui vibre, je suis le tympan, d'un côté c'est le crâne, de l'autre le monde, je ne suis ni de l'un ni de l'autre...»

Il est clair qu'à une époque où l'on veut à tout prix classer, étiqueter, mesurer, évaluer, Ramdam se profile comme une hétérotopie, un espace de résistance «entre deux refuges éclairés dont les portes sitôt qu'on approche se ferment doucement, sitôt qu'on se détourne s'entrouvrent doucement encore.»

S'il a quelques prédécesseurs fameux (La Cartoucherie de Vincennes d'Ariane Mnouchkine, la Fonderie au Mans de François Tanguy, la friche Belle de mai à Marseille...), cet entre-deux veut se soustraire aux identités définies et figées. Ce sera un lieu de passage (dans tous les sens du terme : transmission et formation, passage d'artistes en résidence, chemins de traverse artistique...) ou, comme préfère le dire, Maguy Marin, «un lieu de frottement». "Ramdam, un centre d'art", c'est l'idée,  explique-t-elle

de sortir du clivage des disciplines, de se réapproprier la notion d'art en général, intrinsèquement lié selon moi au politique. On ne va pas voir du cirque, de la danse ou une exposition, mais un "objet d'art" susceptible de faire bouger, de changer quelque chose en nous.

On ira donc à Ramdam voir May B, œuvre non identifiée et géniale, oscillant entre danse, théâtre et littérature.

May B
A Radam du mardi 7 au samedi 11 avril
Singspiele
A Radam du 28 avril au 2 mai


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