Emmanuel Mouret : «Le souci des autres et le souci de soi»

Depuis Laissons Lucie Faire, son premier film, nous avons noué un dialogue fructueux et passionnant avec Emmanuel Mouret, et c'est un plaisir de le prolonger pour la sortie de Caprice. Propos recueillis par Christophe Chabert


Jusqu'à quel point vos films se répondent, positivement ou négativement, entre eux ? Y a-t-il par exemple une suite logique entre Caprice et Une autre vie, ou au contraire une volonté de rupture ?
Emmanuel Mouret : Difficile de répondre… Le scénario de Caprice était déjà écrit avant que je tourne Une autre vie, lui-même écrit il y a une dizaine d'années. Ça ne veut pas dire que je ne les retravaille pas ; sur Caprice, j'ai quasiment mis deux ans à trouver la fin, elle a été écrite après le tournage d'Une autre vie. Je pense qu'ils se répondent nécessairement, puisque tout ce qu'on vit nous traverse et nous change. Même s'il y a des choses que l'on retrouve dans mes films, j'ai le désir d'en explorer de nouvelles. Donc je réagis au film précédent quoi qu'il en soit.

Que vous ayez trouvé la fin de Caprice après Une autre vie fait sens, car c'est justement là que le lien entre les deux films est le plus évident…
Peut-être. Au début, Caprice se terminait comme une sorte de quadrille, mais je trouvais l'idée forcée, je ne la sentais pas. Ces dix dernières minutes, je les ai reprises pour trouver quelque chose qui exprime mon ressenti de manière plus pertinente. Une autre vie y est certainement pour quelque chose.

On vous sent de plus en plus attiré par l'idée du mélodrame…
Oui, j'aime le mélodrame, mais je ne sais pas si cette fin-là tire vers le mélodrame. Le retour des spectateurs d'ailleurs est changeant… Je voulais un fin qui se termine, pas une fin en l'air ou une queue de poisson, mais que néanmoins on soit traversé par une impression complexe qui peut, chez certaines personnes, laisser passer un courant de mélancolie.

Ce qui m'a paru le grand challenge de Caprice, c'est de faire une comédie où ce qui arrive au personnage principal, ce ne sont pas des malheurs, mais trop de bonheur…
C'est peut-être mon désir d'impertinence. Quand on fait un film, c'est toujours un personnage confronté à des difficultés, et là, c'est un personnage trop gâté. On fantasme toujours d'être très gâté, et le film explore les conséquences de ce fantasme. Une phrase de Minnelli m'a beaucoup marqué : «Le plus grand danger pour l'homme, c'est d'être le rêve de quelqu'un». C'est pour ça qu'un des personnages dit dans le film : «C'est terrible d'être le rêve d'une femme, on est sûr de la décevoir.»

En même temps, le film garde cette structure classique du poisson hors de son bocal…
Il se retrouve avec la femme de ses rêves, une actrice, dans un milieu qu'il ne croyait jamais côtoyer, sans comprendre comment c'est arrivé : elle a été charmée par sa maladresse et par une prédiction. Il est dans une fragilité permanente, avec l'impression que tout ça peut se briser, finir d'un instant à l'autre. J'avais envie de construire sur ce sentiment : on a quelque chose mais on sent que ça peut nous échapper, ce qui concourt au suspense du film.


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