Superpoze crève l'écran

Critique du premier album du jeune producteur caennais Superpoze.


On se souvient de notre première rencontre avec Superpoze comme d'une apparition.

C'était au printemps 2013, au festival TILT à Perpignan. Programmé en prélude à un authentique boucan d'enfer (Sebastian, Fukkk Off, Carbon Airways...), il s'était avancé sur scène tel un ange annonciateur, Gabriel de son prénom, le visage d'une innocence juvénile – il avait alors la vingtaine à peine entamée – et le corps agité de spasmes typiques d'un état de grâce,  brandissant en guise de trompette une MPC (un séquenceur/sampler portatif) de laquelle il avait fait jaillir des abstractions électro-hip-hop aux airs de souvenirs.

Souvenirs de quelque paradis à l'exotisme glaciaire, dont les délicats contours (cut-ups vocaux réduits à des onomatopées tribales, beats clapotant comme des ricochets sur l'eau, nappes de synthé dessinant des horizons meilleurs) épousaient ceux de From the Cold, un premier EP sur lequel il soldait un an plus tôt l'héritage des labels Warp et Ninja Tune – «des artistes comme Flying Lotus ou Bonobo furent primordiaux dans ma découverte de la composition en solitaire» reconnaît-il aujourd'hui.

Deux ans et un second EP tout aussi dépaysant plus tard (Jaguar), le voilà de retour avec un premier album précédé d'une attente messianique, où les souvenirs ont laissé place à un travail quasi documentaire d'une petite trentaine de minutes, à mi-chemin du travelling pour ciné-concert au piano (Overseas, Home Is Where I Am, North) et du field recording pulsant de précipitations organiques (Time Travel, Ten Lakes, Unlive).

Opening, c'est son titre, est pourtant un pur disque d'electronica de chambre, enregistré à la lueur d'un écran à la luminosité mal ajustée. Oui mais voilà, nous sommes en 2015, à une époque où une simple prise Ethernet suffit à transformer un bureau en cockpit vers l'ailleurs. A ce titre, on a craint un temps que Superpoze ne devienne le Roudoudou de la génération Soundcloud (celle qui selon lui «se fiche de savoir si un morceau est mainstream ou underground, rap ou techno»), one-hit-wonder trop nostalgique pour aller de l'avant – Sound of Iceland, le tube qui l'a révélé, est un peu son Peace and Tranquility to Earth à lui. Opening rassure : il en est plutôt, par sa patience, son ambition et son sang froid mélodique, le Boards of Canada.

Benjamin Mialot

Opening (Combien Mille)


<< article précédent
A la galerie Descours, un érotisme surréaliste