Sonic lose

Dans la grande mais courte histoire du grunge, le pionnier Mudhoney a été oublié autant qu'il s'est oublié. Et s'affiche encore aujourd'hui comme l'alpha et l'oméga d'un genre qui n'est plus. Ce furieux paradoxe spatio-temporel est à Lyon cette semaine. Stéphane Duchêne.


Il doit bien y avoir, parmi les lecteurs du Petit Bulletin, quelques amateurs de sport/supporters en mesure d'imaginer ce que cela peut faire de voir son équipe de toujours déménager sous d'autres cieux, avec armes sportives et bagage historique. C'est arrivé en 2008 aux fans de l'équipe NBA des Seattle Supersonics quand leur équipe, hautement constitutive de l'identité de la ville, est partie sans crier gare et pour de sombres raisons de business jouer à Oklahoma City, avec sous le bras une superstar naissante (Kevin Durant) et un futur doré à l'or fin, laissant aux locaux une salle vide et des fantômes en guise de palmarès. Eux, les supporters, sont restés comme deux ronds de flan hagards.

Syndrome de Seattle ? Il est arrivé la même chose à Mudhoney avec le grunge. Sauf qu'eux étaient tout autant acteurs que ceux qu'ils ont vu quitter l'aéroport, direction le monde, la corne d'abondance, l'Histoire avec une grande hache. Car dans les balbutiements d'un grunge qui ne disait pas encore son nom, leur titre Touch Me I'm Sick (1988) peut être considéré comme une première goutte d'eau sur pierre brûlante et Mark Arm et sa bande le premier groupe de cette scène naissante à tourner (inter)nationalement avec le monument Sonic Youth.

Pschitt

La gloire est là, au bout du doigt, il n'y a plus qu'à la toucher. Et puis pschitt. le groupe manque de se séparer avant l'explosion de la scène, se ravisant pour sortir Every Good Boy Deserves Fudge chez Sub Pop, puis prendre sur Piece of Cake (chez Reprise) le contre-pied de ce qui marche (soit, en gros, le saupoudrage pop génial à la Nirvana, la verve stadière de Pearl Jam, et peut-être aussi l'inspiration).

Mais parfois, prétendre que monter dans le train c'est suivre le troupeau est aussi une manière de ne pas (s')avouer qu'on n'a pas les moyens de se payer le voyage... «Souvenez-vous de Mudhoney, le groupe qui comptait pour du beurre, le groupe trop paresseux pour vendre son âme au diable, trop cool pour prendre l'oseille, trop abruti pour abandonner» clamait le dossier de presse de My Brother the Cow. Mudhoney s'autocouronnant ainsi «seul groupe grunge véritable en 1995.» 

Problème, en 1995, le grunge boulotte les pissenlits par la queue à la même table que la dépouille de Cobain. La suite n'est qu'une affaire de contre-temps qui n'en finit pas. Mais permet encore aujourd'hui à Mudhoney de cultiver une nostalgie raccord avec l'époque.

Á Seattle, les soirs de match du Oklahoma City Thunder, on voit encore des fans des Supersonics agiter des drapeaux dans le vide en espérant que leur équipe revienne – un événement en pourparlers. Dans cette même capitale du Washington, les hommes de Mark Arm restés à quai, agitent celui du grunge, à la fois mort et vivant, véritable chat de Schrödinger musical.

Mudhoney [+ Barton Carrol + White Hills]
Á l'Épicerier Moderne vendredi 22 mai


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