Développement durable

A la tête de l'agence de management Grande Route et du tout neuf label Archipel cofondé avec le studio Mikrokosm, Grégoire Le Du s'est spécialisé depuis une dizaine d'années dans l'accompagnement d'artistes en développement. Mûrissant au passage une philosophie quelque peu à contre-courant de l'image que l'on peut se faire de ce métier, où les idéalistes auraient encore leur place. Stéphane Duchêne


«J'ai cette chance d'être suffisamment romantique pour me satisfaire de ce que l'artiste fera plutôt que de ce qu'il fait.» Cette phrase de Grégoire Le Du – fondateur de Grande Route, qui manage entre autres les carrières prometteuses de Joe Bel et 2080 – plusieurs fois répétée et déclinée au cours du même entretien sur son métier, peut paraître quelque peu sibylline. Il faut pourtant, entre les lignes, la comprendre comme l'acceptation qu'un artiste puisse à un moment donné faire sa (grande) route sans ce manager spécialisé dans l'émergence.

Sans faire de lui un Bartleby de la chose, un type qui, comme le héros de Melville, «préférerait ne pas», ce discours et la mise en pratique qui l'accompagne dénote quelque peu dans une profession que, vue de l'extérieur, on imagine volontiers pratiquée par des types qui se barrent avec la caisse : «C'est une philosophie, une question de tempérament dit-il. Je viens de la musique, j'en fais, ce qui me permet de travailler sans arrière pensée.»

C'est en effet en plusieurs temps que Grégoire s'est découvert une passion pour l'émergence et le développement et a forgé sa vision du métier. Après avoir joué, schéma classique, dans des caves et des MJC, appris derrière les consoles de studios parisiens, écrit des musiques pour l'image (synchro, courts-métrage, docus), il retrouve à Lyon deux vieux amis, les "frères Lavegie", tenanciers de Gourmets Rec. Et s'associe avec eux en 2007 pour s'occuper de la branche chanson française du label, avant de se spécialiser très vite dans le management d'artistes, qu'il découvre sur le tas.

En concourant notamment à l'ascencion de Carmen Maria Vega :

«Dans les premiers mois du projet, j'étais autant producteur que tourneur que manager. Comme le projet s'est développé, j'ai pu déléguer et ai découvert que le métier de manager était de construire une équipe de spécialistes autour d'un projet et d'en être le meneur de jeu. Je me suis alors consacré beaucoup plus aux artistes qu'à leur disques et c'est ce qui m'a passionné : être au contact des créateurs, essayer de les orienter dans l'accouchement et l'organisation de leur projet pour arriver à leur public.»

Starters

Assez logiquement, en 2011, Grégoire Le Du lance sa propre structure de management, Grande Route, qu'il voit – en plus de l'encadrement "permanent" de musiciens – comme une plate-forme ouverte où l'artiste peut accéder à une expertise sans avoir les mains liées : «Les engagements longs sont très productifs quand ça marche, mais aussi très enfermants pour le manager et pour l'artiste.»

C'est cette même philosophie qui s'applique au fonctionnement pour l'instant balbutiant du label Archipel, fondé il y a quatre mois avec son associé chez Grande Route, Romain Busnel, et Benoït Bel du studio d'enregistrement Mikrokosm, et qui vient de produire le dernier EP de Joe Bel, Hit the Roads. «Le but c'était de mutualiser des compétences pour réaliser nous-mêmes les productions de nos artistes sans qu'ils aient à se plomber avec des dépenses faramineuses, ou des directeurs artistiques, des réalisateurs qui s'impliquent trop tôt sur des projets embryonnaires. Le sens qu'on veut donner à Archipel c'est encore une fois d'être des starters.»

Un discours que le manager-néo-producteur affranchit de toute notion de frustration personnelle : «Á partir du moment où les règles sont fixées dès le départ, il ne peut pas y avoir de frustration. On n'imagine pas un instituteur qui voit ses élèves réussir se sentir spolié par leur réussite.»

Liberté chérie

Au contraire, il regrette même que la scène lyonnaise – qu'il s'agisse de ses poulains ou pas, et en dépit de quelques contre-exemples – n'explose pas davantage au national malgré la profusion de talents, quelque peu paralysée qu'elle serait par l'entre-soi et la satisfaction de faire la blague localement.

Une inclination que ce Parisien d'origine analyse d'une manière plutôt décomplexée :

«C'est symbolique de la mentalité de cette ville : on sait qu'il y a des choses très belles mais il ne faut pas que tout le monde le sache. Ici, les jardins sont cachés, les choses superbes, il faut les dénicher. Bon, chacun dans nos chapelles, on se débrouille quand même pas mal : Joe Bel, Erotic Market, Pethrol, Animali prennent de l'envergure.»

Il ajoute, un poil idéaliste (ce qui ne nous étonne plus) : «Faire un Transbo, c'est une fin en soi, alors que ce devrait être le début du travail et j'aimerais quand même bien être dans le game le jour où un projet construit localement, soutenu par tous, sans "oui mais", émergera.» Plus tôt, Grégoire nous racontait qu'«un jour un grand monsieur du disque parisien» l'a jugé, on y revient donc, trop romantique pour ce métier : «J'avoue précise-t-il, que ça m'a vexé pendant longtemps, mais aujourd'hui j'en ai fait un moteur.» Celui du développement artistique de ses protégés, dans un esprit de liberté, y compris pour lui-même, qu'on ne chérit jamais trop.

Le French Kiss de Joe Bel
Au Club Transbo mercredi 20 mai


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