La saison 2015/2016 du TNP

22 spectacles dont 9 émanant de sa direction ou de ses acteurs permanents : la saison prochaine, le Théâtre National Populaire fera la part belle aux talents maison, à commencer par la création très attendue de "Bettencourt Boulevard" par Christian Schiaretti. Autre temps fort : "Ça ira", fable plus que jamais politique du maître Joël Pommerat. Nadja Pobel


L'an dernier à la même époque, Christian Schiaretti pouvait encore rêver de devenir patron de la Comédie Française, tandis que l'État et le Département supprimaient respectivement 100 000€ et 150 000€ de dotation à ce Centre National Dramatique majeur (sur un budget de presque 10M€). Depuis, le Ministère comme le Rhône ont rendu ce qu'ils avaient pris,  le TNP peut rouler sur des rails paisibles. Quoique : la troupe permanente de 12 comédiens a été réduite à 6. Le coût de la vie augmentant, il faut bien faire des économies et puisqu'il n'est pas possible de baisser les frais de fonctionnement de cet énorme paquebot, ce sont les artistes qui trinquent.

Mais de cette contrainte nait de l'inventivité. Le TNP proposera ainsi neuf spectacles dans lesquels des comédiens de la mini-troupe se feront metteur en scène,  tout le monde travaillant de fait à flux constant. Julien Tiphaine portera à la scène La Chanson de Roland, Clément Carabédian et Clément Morinière s'attèleront au Roman de Renart, Damien Gouy au Franc-Archer de Bagnolet d'un anonyme du XVe siècle et Juliette Rizoud, associée à Julien Gauthier, donnera voix à Tristan & Yseult d'après Béroul. Autant de "premières" regroupées sous l'intitulé "Le berceau de la langue", dont le programme s'égrènera tout au long de la saison.

Rien d'étonnant à ce que la langue que Christian Schiaretti chérit tant soit aussi la matière de ses poulains. Lui-même signera la première mise en scène de la dernière pièce en date de Michel Vinaver, Bettencourt Boulevard (du 19 novembre au 19 décembre), sous-titrée Une histoire de France. Loin d'être un réquisitoire contre tel ou tel protagoniste de la fameuse affaire, cette pièce est dans la veine de Par-dessus bord, soit une fresque sociale et familiale de la vie d'un grande entreprise.

Les directeurs sont dans la place (Lazare-Goujon)

Quelques intendants de grandes structures passeront tout de même par là : le patron de du Théâtre National de la Colline Stéphane Braunschweig, au travail souvent froid, avec Le Canard sauvage d'Ibsen (février) ; l'épatant directeur de la Comédie de Saint-Étienne Arnaud Meunier avec le plus beau texte de Koltès, Le Retour au désert (février) ; celui, non moins remarquable, de la Comédie de Valence,  Richard Brunel, pour la reprise de L'Empereur d'Atlantis en collaboration avec l'Opéra de Lyon ou encore le très jeune (et très agaçant) dirigeant du CDN-Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis,  Jean Bellorini avec Liliom (du 9 au 21 mai).

Parmi cet aréopage de grands noms, Olivier Maurin se glissera dans la programmation avec son délicat et juste En courant, dormez !, créé au Théâtre de l'Elysée en 2013. Autre curiosité : Benjamin Lazar, épigone d'un théâtre austère, parfois même éclairé à la bougie et qui malgré cela, avait brillamment dirigé cet acteur fabuleux qu'est Olivier Martin-Salvan dans Pantagruel, passé par le TNP. Il reviendra avec Dibbouk ou entre deux mondes (du 1er au 6 mars), texte yiddish d'avant-guerre qui, par le truchement d'une langue mélangeant russe, polonais, français et allemand, visait à créer une unité parmi le peuple juif avant la création d'Israël. Déjà monté par Peter Brook et Warlikowski, le spectacle sera donné ici en français.

Maître Pommerat

Enfin, impossible dans cette liste non exhaustive d'oublier Joël Pommerat. Alors qu'il n'a pas créé de spectacle à partir de sa propre écriture depuis La Réunification des deux Corée (2013) et qu'il avait adapté l'an dernier un texte de Catherine Anne, Une année sans été, voilà qu'il se lance dans un récit politique avec Ça ira, amené à se décliner en épisodes (le premier étant sous-titré Fin de Louis). Si le travail de Pommerat a toujours été éminemment politique car très ancré dans la société et les conditions de vie des plus pauvres, s'il a toujours été aimanté par l'aliénation que produit le travail (Les Marchands,  Ma chambre froide, La Grande et Fabuleuse Histoire du commerce), il n'avait jamais encore embrassé un événement historique précis. Il a choisi la Révolution et c'est peu dire que l'on attend de pieds fermes cette création qui sera – chose rare – présentée pendant trois semaines (du 8 au 28 janvier) grâce à un co-accueil avec les Célestins (qui proposeront également ce spectacle dans leur abonnement).


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