Babel heureuse

Á l'initiative de la Maison de la Danse, Babel 8.3 invite des habitants des 8e et 3e arrondissements à se familiariser avec les univers d'une dizaine de chorégraphes. Coup de projecteur sur un projet innovant qui cultive à la fois proximité et excellence. Valentine Martin


Dans la mythologie biblique, la tour de Babel était une construction des hommes dont le sommet devait atteindre les cieux. Un projet jugé trop vaniteux par Dieu, qui décida alors de les punir en attribuant à chacun d'entre eux des langages différents. Ainsi les hommes se brouillèrent, avant de se disperser dans le monde.

Aujourd'hui, la Maison de la danse tente une réunification, sous la forme d'un grand spectacle orchestré par sa directrice Dominique Hervieu, Babel 8.3, qui a vu 17 groupes d'habitants des 8e et 3e arrondissements apprendre un nouveau langage commun : celui du corps.

Cet événement est né d'un désir : celui de mener un travail de proximité avec les habitants de quartiers dit sensibles. Des gens qui, pour certains, n'ont jamais mis les pieds dans cette institution du geste et sont en grande partie des amateurs. En tout, ce sont près de 250 volontaires qui se sont lancés dans cette aventure de longue haleine – débutée en septembre 2014, elle débouche cette semaine sur trois représentations – qui entend concilier haut niveau technique et respect de la diversité des cultures et individualités de chacun.

Dix à la maison

Pour en arriver là, pas moins de dix chorégraphes ont été mobilisés pour accompagner les élèves – le plus jeune a 5 ans, la plus âgée tout de même 98 ! Parmi eux, Abou Lagraa, le duo Arcosm ou encore Annick Charlot et Denis Plassard, d'ailleurs tous deux issus du 8e, autant d'artistes aux esthétiques et propos dissemblables que relieront les musiques de Mozart – interprétées par des musiciens de l'ONL, un chœur berbère, un violoniste chinois et des musiciens du Labo musiques actuelles du CNSMD. Un choix qui s'imposait de lui-même pour la directrice, qui voulait une figure universelle, puissante et légère.

S'inspirer de l'histoire de chacun, fut-il un danseur hip-hop ou un retraité, pour construire une œuvre collective, serait-ce une solution pour atteindre ce "vivre ensemble" si fuyant ? Sans aucun doute pour Dominique Hervieu : «Il ne faut pas travailler que dans la masse. Un groupe se constitue d'individualités et de sensibilités différentes et c'est en s'appuyant sur cette diversité, en respectant le divers que, petit à petit, le groupe est plus complexe et plus riche. C'est sans arrêt un dialogue entre l'individu et le groupe.»

L'idée de Babel 8.3 est en effet de créer un récit commun et cohérent à partir de fragments. La directrice de la Maison de la danse n'est toutefois pas si naïve. Elle sait que son projet ne changera pas la face du monde. Il lui apparaît cependant d'une nécessité quasi vitale, qu'elle se plaît à illustrer par cette métaphore de Borges : «Dans le désert, un homme prend une poignée de sable et trois pas plus tard, la laisse s'écouler entre ses doigts. Il se dit alors : "J'ai eu la sensation, dérisoire et vraie, d'avoir transformé le désert."»

Babel 8.3
Á la Maison de la danse du vendredi 29 au dimanche 31 mai


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