Dans la tête de Ravel


Plonger dans l'écoute de ses deux concertos composés pour le piano, c'est s'immiscer dans la tête de Maurice Ravel. Ultimes partitions du compositeur, elles sont écrites alors qu'il souffre déjà des troubles cérébraux qui l'éloigneront de la musique les cinq dernières années de sa vie. On peut, sans fabuler, entendre dans leurs tourments quasi schizophrènes (superpositions de métriques et tonalités contraires) les maux qui affectaient Ravel.

Á ces collisions s'ajoutent des tensions entre tendresse et âpreté, classicisme et modernité. Si Ravel respecte la structure classique du concerto, il l'enrichit d'influences jazz glanées lors de son récent séjour aux États-Unis. Le Concerto pour la main gauche est écrit pour le pianiste Paul Wittgenstein. Amputé de la main droite pendant la Grande guerre, celui-ci commande à Ravel une œuvre qu'il puisse jouer d'une main. Le compositeur imagine une pièce au climat maléfique qui donne l'illusion que ce sont bien deux mains qui parcourent le clavier.

Quant au Concerto pour piano en sol, c'est un chef-d'œuvre absolu où le soliste et l'orchestre rivalisent de virtuosité. Son mouvement central, l'Adagio assai, est peut être la plus belle page de la musique française du XXe siècle et justifie à lui seul de venir écouter le pianiste François Dumont. Le jeune Lyonnais aura à faire chanter ce long solo de trente-trois mesures, cette phrase infinie et lumineuse qui ouvre l'œuvre avant que, d'un trille, le piano n'invite un à un les vents à le rejoindre. Un sommet à applaudir, assurément, des deux mains.

Philippe Yves

Soirée Ravel
Á l'Auditorium jeudi 11 et samedi 13 juin 


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