La force tranquille

Dominique A sera cette année l'une des têtes d'affiche de Fourvière et l'une de ses rares figures que l'on pourra qualifier de "rock". Pour son dixième album, "Eleor", classiquement beau, il n'en fallait pas moins. Pas moins non plus que "Regarder L'Océan", petit livre éclairant que Mister A vient de publier et qui, comme ses chansons, dit beaucoup en peu de mots. Stéphane Duchêne


Qualifier de classique un album de Dominique A pourrait laisser entendre qu'on a affaire à du A pur jus. Or ce n'est pas le cas d'Éléor, dont le classicisme est à évaluer au regard des standards de la chanson ou du format pop. Des titres courts où un trio rock classique donc, baigne dans des arrangements de violons enveloppants – qui succèdent ici aux cuivres du pas toujours compris Vers les lueurs – pour un résultat d'une grande simplicité et d'une grande douceur. Une certaine suavité comme le confie lui-même l'auteur de La Fossette.

Cap Farvel ouvre cet album de grands espaces qui pour la plupart appellent ou évoquent le renoncement, se cristallisent dans le fantasme du voyage par procuration – Par le Canada et ses violons oniriques – ou la simple évocation des lieux – Central Otago, dont les guitares résonnent en écho à ces fascinantes syllabes du bout du monde, quelque part en Nouvelle-Zélande, suffisant à traverser le monde.

Or du voyage au transport amoureux, il n'y a souvent chez A qu'un pas, comme en témoigne le sublime Au revoir mon amour, sur ces passions fugaces imaginées le temps d'un échange de regard quelque part dans la vie.

Regarder, vivre

Dans le culte Génération X, l'auteur canadien Douglas Coupland appelait «ultra-nostalgie», la nostalgie du passé immédiat. Chez Dominique A, celle-ci se plaque aussi sur ce qui ne s'est pas passé parce qu'on s'y refuse – «Mieux vaut ne pas s'aimer qu'un jour ne plus s'aimer» – par peur de ce qui pourrait arriver. Ou peut-être pour laisser ouvert en grand un champs infini des possibles – Une autre vie – qui se déclinerait en pensée et en cinémascope, ménageant une multitude de fictions pour soi-même faites d'horizons rêvés, rassurants parce qu'inaccessibles.

C'est d'ailleurs cette approche en micro-fictions-réalités qu'utilise l'auteur A dans Regarder l'Océan, petit livre impressionniste qu'il viendra présenter à Lyon. Evénements avortés, choses que le temps emporte mais conservées dans le formol du souvenir, difficulté à s'extraire de l'enfance,  instantanés d'une jeunesse moins révolue qu'elle ne le devrait,  le chanteur continue de s'y couler dans la même eau.

Un élément qui décidément le fascine puisqu'A en fait aussi l'un des thèmes principaux d'Eleor, précisément dit-il car, dans sa vie, rien ne lui est jamais arrivé au bord de l'eau. Ce renoncement, cette mélancolie de ce qui n'arrive pas, on l'a dit, est l'autre thème d'Eléor, qu'en écho éclaire cette phrase de Regarder l'Océan : «La vie me fait peur mais il faut bien vivre.» Or, se souvenir c'est vivre un peu, mais pas trop.

Dominique A [+ Yaël Naïm]
A la Librairie Passages jeudi 11 juin
Aux Nuits de Fourvière dimanche 14 juin


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