Encre vive


Après deux romans de fiction, voilà que le jeune écrivain Pierre Ducrozet (33 ans) se penche avec Eroica (paru en avril) sur la vie de Basquiat. Mais attention, ceci n'est pas une biographie littérale, plutôt une biographie hautement littéraire.

Pour autant, ce troisième ouvrage s'inscrit dans la parfaite continuité de ce qu'il a esquissé depuis 2010. Son héroïne de Requiem pour Lola rouge ? «Elle est le vent.» Lou dans La Vie qu'on voulait ? «Elle préfère le maintenant (…) s'ennuie peut-être parfois mais c'est une taxe obligatoire sur la vie.» Autant de phrases que Pierre Ducrozet auraient pu attribuer à son Basquiat, dit Jay, qui possède la même fureur de vivre que ses précédents personnages.

Cette intensité se retrouve dans le découpage même de son récit, succession de courts chapitres allant à l'essentiel : vivre vite et fort ; se camer, se cramer, inévitablement. Et peindre, peindre, peindre. Cernant son milieu d'origine (la classe moyenne) tout en se gardant de le transformer en artiste maudit pour enjoliver quelque success story, Ducrozet se fait pragmatique dans sa façon de décrire le geste de Jay, prouesse lexicale maintes fois renouvelée sur laquelle nombre de critiques d'art et de ses pairs écrivains se cassent régulièrement les dents.

S'il maintient ce cap tout au long du roman, Ducrozet n'en n'oublie toutefois pas où se déroule son histoire : dans le New York 80's – Warhol, Haring, Capote et Madonna passent par là – qui trimballait aussi son lot de racisme et de démesure. Autant portrait d'une ville que d'un artiste, ce roman qui inaugure la collection "Le Courage" chez Grasset est aussi, en creux, l'affirmation d'un auteur qui, livre après livre, trace, à l'instar de son sujet, un mouvement singulier et de plus en plus identifiable.

Nadja Pobel

Pierre Ducrozet
Á la libraire Decitre-Bellecour, samedi 20 juin


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