«Montrer qu'il reste de l'espoir» - Interview d'Abou Lagraa

À la Maison de la danse, Abou Lagraa s'inspire pour sa nouvelle création du fragment le moins religieux du plus pieux des livres, et le fait entrer en vibration avec le temps contemporain. Un sacré défi.


Vous ouvrez votre résidence et la saison de la Maison de la Danse avec Le Cantique des Cantiques, une création sous le signe du double — plus dans le sens de "conjugaison"» que de "dualité"…
Abou Lagraa : 
C'est vrai. D'autant que je suis en co-création avec Mikaël Serre. C'est d'ailleurs la première fois que je travaille avec un metteur en scène : je ne pouvais pas ne pas travailler avec des comédiens et un metteur en scène autour d'un si beau poème, vieux de 2300 ans. On est dans une union parfaite sur scène : une danse de sensualité, de fluidité — très esthétique parce que j'aime cela — et des comédiens, tous ensemble autour d'un fabuleux texte métaphorique. Car si l'on regarde derrière Le Cantique…, il est question de liberté, de féminité, de l'homme qui a peur de la femme, de l'amour, du couple… Nous avons poussé un peu plus loin en parlant de l'amour en général, pour construire quelque chose d'accessible, de non élitiste.

Ce texte est une parade amoureuse et rythmée, qui porte en lui des mouvements. Était-il évident de déduire des phrases chorégraphiques de ses phrases poétiques ?
Non, très difficile, car on ne voulait pas tomber dans le pathétique ni dans la symbolique chorégraphique dite dans le texte. Avec Mikaël, on a cherché ce qu'il signifiait aujourd'hui, et ce que c'est que l'amour. Je crois que c'est une question philosophique à laquelle il est compliqué de répondre. L'amour, ce n'est pas universel ; on n'aime pas tout le monde dans la société, car on rejette encore l'étranger, l'homosexuel ou les Femen parce que leur corps ou leur discours nous fait peur. Il y a plusieurs sortes d'amours. L'amour idéal, que l'on aimerait avoir, qui est présenté comme onirique. Et puis l'amour qui apaise, où la séparation est importante — car dans Le Cantique, il est souvent dit que pour s'aimer, il faut se séparer, donc recréer le désir, l'indépendance (rires). Enfin, l'amour couple, encore très mal perçu lorsqu'il ne s'agit pas d'une relation homme-femme : il reste malheureusement tant d'intolérance et d'hypocrisie aujourd'hui…

En définitive, Le Cantique… contiendrait-il le message le plus inspirant de la Bible ?
Est-ce que les religions nous permettent d'aimer ? Je ne le crois pas. Et pourtant je suis d'obédience musulmane, même si je ne pratique pas (rires) ! Nos sociétés et nos nations sont elles aussi éloignées des messages d'amour écrits dans la Charte européenne des Droits de l'Homme. Dans Le Cantique, on veut remettre la question de l'amour sur la table et montrer qu'il reste de la poésie. Et de l'espoir…

Le Cantique des Cantiques
À la Maison de la danse du mardi 15 au vendredi 18 septembre


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