Une lueur dans les ténèbres

Chez ceux qui ne l'ont jamais vue comme chez ceux qui la connaissent déjà bien, son talent hors norme et sans cesse renouvelé provoque le même étonnement. Marief Guittier le confirme à l'Elysée sous la houlette de son éternel acolyte Michel Raskine : elle est une très grande comédienne.


C'est un petit bout de femme, pourrait-on dire vulgairement. Elle est en vérité bien plus. Quand le prologue se termine, elle apparaît, toute mince, là où on ne l'attend pas : hissée en haut de gradins, assise, au premier plan d'une peinture d'océan un peu kitsch, scénographie resserrée dans laquelle elle trouve sa place avec évidence.

Petites lunettes rondes, bonnet lui ôtant tout cheveu, cardigan noir sur chemise blanche, pantalon : elle est cet homme, héros de Conrad, Charles Marlow. Elle est cet homme plus que bien des acteurs masculins ne pourraient l'être. Marief Guittier a déjà été Max Gericke et Rousseau, elle sait que tout est possible au théâtre. Avec sa voix grave, son souffle travaillé et, surtout, sa capacité à faire passer dans sa prononciation un mélange d'ironie, de passion et de surprise, elle sait démultiplier mieux que quiconque les nuances des états d'âme de son personnage. Et donne à ce jeune officier de marine marchande britannique qui remonte le cours d'un fleuve au cœur de l'Afrique noire une fraîcheur absolue. Mieux, elle semble l'inventer.

«C'est ça le pire, essayer de raconter»

Ce talent-là, ajouté au verbe de Conrad, offre une vraie immersion en terre hostile, cette atmosphère même qui avait séduit Francis Ford Coppola jusqu'à lui servir de trame de fond pour Apocalypse Now. Dans un jeu de balancier, Raskine rattrape le film par la manche en faisant résonner This Is the End des Doors.

Mais le metteur en scène, nonobstant ce puissant clin d'œil, signe surtout un travail très cohérent avec ses travaux passés, notamment son théâtre en coin, où il dirigeait les comédiens dans un espace volontairement très réduit pour leur permettre d'aller à l'essentiel.

C'est aussi comme cela que joue, en entame de spectacle, Thomas Rortais, petit prodige issu du Conservatoire de Lyon, qui a greffé à ce monologue Le Bateau ivre. Avec détermination et une espèce d'espièglerie, il donne le ton aventureux de cette pièce épique qui se tient en une heure.

En janvier, ce duo d'acteurs-là, toujours guidé par Michel Raskine, se retrouvera dans la petite salle des Célestins dans Quartett d'Heiner Müller,  formant de nouveau un couple improbable et néanmoins,  au vu de ce Cœur des ténèbres, pertinent.

Au cœur des ténèbres
Au Théâtre de l'Élysée, jusqu'au vendredi 25 septembre


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