Machines à découdre

Frédéric Arditi présente à Lyon des dessins et des bois gravés récents. Un univers artistique sous tension et chirurgical critiquant la société de consommation et l'aliénation technologique.


«Chérie, regarde par la fenêtre ! Le temps est au coït et le ciel se déchire en une grande vulve ouverte !

– Qu'est-ce que tu racontes ? Je ne vois que notre singe assis sagement, et puis cette table que tu n'as pas encore débarassée de tes bouteilles vides et de cette tête fraîchement coupée qui en abîme le bois...

– Mais mon amour, qu'as-tu donc ce matin ? Tu parles comme une machine, dans la bonne humeur d'un moteur et la sensualité d'un joint de culasse...» 

On pourrait à l'envi imaginer nombre de petits dialogues surréalistes en regardant les grands bois gravés de Frédéric Arditi (né en 1969, vivant à Paris). Et relier ainsi par des mots, ou bien seulement par des courts-circuits perceptifs, ses agencements de motifs disjoints : machines, scènes érotiques, corps sans tête ou greffés à un moteur de voiture, mobilier d'intérieur, ménagères qui pètent les plombs...

Partant de dessins inspirés par le cours du monde ou sa propre vie intime, l'artiste se fait ensuite "chirurgien",  incisant à la gouge le bois de ses tableaux, ni tout à fait graveur, ni tout à fait peintre, et proche par ailleurs des techniques du collage et du photo-montage. «Je cherche confie-t-il, à créer des réseaux entre les motifs, des vibrations, des sonorités, avec aussi toujours le souci de la composition.»

Détraqués

Décomposition et recomposition, fragmentation et mise en scène rythment les œuvres de Frédéric Arditi. Il y ausculte jusqu'aux entrailles les corps et les visages humains en lointains échos aux leçons d'anatomie de Rembrandt ou aux décapitations du Caravage j'ai du mal à mettre une tête sur un corps, on a soit la tête seule, soit le corps seul» remarque-t-il). Il y désosse aussi les mécaniques et les machines jusqu'aux derniers boulons ou jusqu'à des représentations schématiques et squelettiques de leurs mode d'emploi et d'assemblage. Avec, vissées au fond de lui, une hantise et une angoisse de l'automatisation et de la mécanisation du monde contemporain : «Je déteste les machines qui singent ou remplacent l'être humain.» 

Le sexe, le monde organique, le vivant luttent donc dans ses oeuvres contre des claviers d'ordinateurs, des moteurs, de vieux téléphones... Tout comme, sur un plan plus graphique et formel, le noir s'affronte au clair, le creux au plein, le dedans au dehors... À l'extérieur, le temps est au coït éclatant, ou à l'enfer des rouages, ou aux images qui passent.

Frédéric Arditi
À la galerie Anne-Marie et Roland Pallade jusqu'au 3 octobre


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