Des airs du temps

Cette saison, tous les lieux lyonnais consacrés aux musiques dites savantes affichent un programme qui ose, qui revendique, qui dénonce une époque contemporaine en plein repli. De belles expériences en perspective.


Peter Pan, Jean-Sébastien Bach et Matrix sont dans un bateau. Rien d'halluciné dans ces propos, juste une lecture aiguë de la nouvelle saison de l'Auditorium. Depuis l'arrivée du très décomplexé Jean-Marc Bador à la tête de la maison, la programmation s'affole, s'emballe et le choix semble si vaste qu'on pourrait s'y perdre. Il faudrait tout tester, devenir un mélomane glouton. Certains diront qu'il y en a pour tous les goûts, d'autres que, franchement, c'est trop. Partons de l'idée que la proposition est alléchante.

Les portes se sont ouvertes sur l'inoxydable Symphonie n°9 de Beethoven dirigée par Léonard Slatkin. Cerise sur le gros gâteau, le public s'est vu investi d'une belle mission : chanter l'Hymne à la joie à tue-tête, avec ses tripes et ses convictions, acte quasi politique en ces temps où la fraternité entre les peuples est plutôt mise à mal – Jean-Marc Bador et Léonard Slatkin martèlent d'ailleurs d'une seule voix leur volonté d'«effacer les distances et gommer le temps» ; vaste ambition, utopie régalante.

L'énigmatique pianiste Hélène Grimaud et l'indémodable Ton Koopman seront tous deux artistes associés et proposeront tour à tour des masterclass, des œuvres avec orchestre et de la musique de chambre (voir ci-contre), tandis que l'ONL étirera encore une fois son univers avec ses opéras en version concert (dont Salomé de Strauss le 8 octobre et Barbe-bleue de Bartók le 28 janvier) et ses concerts express,  petits rendez vous d'une heure au moment du déjeuner. S'ajoutent du jazz, des Happy Days (autour de Shakespeare le 7 novembre, Bach le 16 janvier et la Biennale Musiques en Scène le 5 mars), des concerts participatifs, des moments pour enfants…

Au sein de cette saison pleine de nouveautés en tous genres, ne rater pour rien au monde le concerto pour violoncelle d'Elgar interprété par une Sol Gabetta au sommet de son archet et dirigée par Elihu Inbal (5 décembre).

La liberté guidant le chœur

À l'Opéra de Lyon, tandis que Serge Dorny s'est réinstallé dans son moelleux fauteuil de directeur général, le chef Kazushi Ono commence à faire ses valises. Le premier a une obsession, depuis toujours : le fil conducteur. Cette année, le public devra ainsi se laisser guider par "Les voix de la liberté". Au-delà, Dorny a pris des risques et on ne peut qu'apprécier de voir à l'affiche des oeuvres contemporaines, des créations qui montrent que l'opéra sait rester vivant aujourd'hui.

Tour d'horizon en trois moments clés. D'abord, La Damnation de Faust de Berlioz ouvre le bal dans une mise en scène d'un David Marton dont on connaît la passion à défaire chaque oeuvre et la retricoter pleine de mailles à l'envers (7 au 22 octobre). En décembre ensuite, les Folies d'Offenbach sonneront du Théâtre de la Croix-Rousse jusqu'à l'Opéra. Pour l'un Mesdames de la Halle, mis en scène par un Jean Lacornerie raffolant plus que jamais de frou-frous et d'univers farfelus (11 au 28 décembre), pour l'autre Le Roi Carotte, fresque baroque et fantastique jamais donnée en France depuis sa création en 1872 que Laurent Pelly va à coup sûr emmener sur une planète encore inconnue (12 au 29 décembre), une musique d'une fausse légèreté qui fait du bien pour les deux. Enfin, il faudra suivre avec intérêt le traditionnel festival maison, explicitement baptisé "Pour l'humanité" (en mars).

Grands chemins de traverse

Au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, c'est fête à tous les étages et surtout, tous les jours et plus encore, certaines nuits. Autant d'occasions de faire le tour du monde aux côtés des meilleurs instrumentistes du moment et ce, on ne le répètera jamais assez, à des prix défiant toute concurrence – voire gratuitement. La 35e saison publique de l'établissement se déroulera sur le thème de la "Ré-Invention". Trois nuits composeront une sorte de festival : une consacrée au répertoire américain du début du XXe siècle (10 novembre), une à la Corée, tiraillée entre passé et ultra contemporanéité (20 novembre), et une aux cuivres.

Dans le paysage musical lyonnais, Il faudra aussi compter dorénavant avec Spirito, fusion réussie entre le Choeur Britten et les Choeurs de Lyon/Bernard Tétu. Leur saison s'annonce rafraichissante, ne serait-ce que par la présence à son générique d'un Thé des poissons par Samuel Sighicelli (6 novembre au Toboggan), création puissament décalée où un oeuf adepte du yoga côtoie une carotte rêveuse.

Piano à Lyon, de son côté, reste 11 ans après son apparition toujours à l'affût des meilleurs pianistes du monde, accueillant Roger Muraro en entrée (9 octobre), Bertrand Chamayou (5 février) un peu plus loin et Alexandre Tharaud (11 mai) sur la même saison.

Enfin, Les Grands Concerts s'engagent au renouvellement, à la confrontation de la musique baroque avec d'autres formes plus ou moins exotiques. Cette saison, coup d'oeil sur Vivaldi in the Sky (18 au 20 décembre à la Chapelle de la Trinité), spectacle poétique et aérien où un clown, un trapéziste et un funambule racontent ensemble une fable portée par un instrumentarium baroque.


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