«La bibliothèque, un lieu de vie» - Interview de Gilles Eboli

En cette rentrée littéraire, impossible de ne pas évoquer la Bibliothèque municipale, paradis de la lecture et premier lieu public lyonnais en termes de fréquentation. Son directeur, Gilles Eboli, revient pour nous sur ses nombreuses mutations en cours. Propos recueillis par Nadja Pobel


Que représente la Bibliothèque municipale de Lyon en nombre d'abonnés et en fréquentation ?
Gilles Eboli :
 C'est la première bibliothèque municipale en France hors Paris. 2, 8 millions de personnes franchissent chaque année la porte d'une de nos quinze antennes et nous avons 105 000 abonnés. Ces chiffres sont depuis des années en hausse régulière, sans que ce soit une explosion,  mais c'est à souligner quand on nous parle ici et là d'effondrement du livre. Jusqu'à maintenant, il y avait l'usage savant et érudit – la consultation sur place – et l'usage de lecture publique – l'emprunts de document.

Mais depuis la fin des années 90 s'est développé l'usage dit des "séjourneurs", qui consiste à rester à la bibliothèque car elle est perçue comme un lieu de vie, de sociabilité, de lien. Revendiquer ce qui, à un moment, a pu être vécu par certains comme quelque chose d'anormal – rester à la bibliothèque – est au cœur de notre projet d'établissement.

Vous proposez depuis le 1er septembre une nouvelle offre tarifaire unique englobant tous les supports. Comment a-t-elle été conçue ?
Au départ, il y a une volonté politique, celle du maire et de l'élu à la culture, qui est de mieux mailler l'action des acteurs du territoire : musées, salles de concerts, bibliothèques... Ensuite, il y a la problématique de la bibliothèque : les abonnements différenciés n'avaient plus de sens car ce n'est pas l'usage des biens culturels aujourd'hui, on passe de l'un à l'autre, du matérialisé au dématérialisé, de façon quotidienne. Notamment la tranche 13-29 ans qui, parmi nos inscrits, était en recul marqué depuis plus de dix ans. Il fallait réagir à cela. Le multi-support est une réponse.

Il y avait même, auparavant, une dimension morale complètement dépassée : si vous étiez en recherche d'emploi, la ville vous accordait la gratuité sur les livres mais pas sur les CD ou DVD. C'était comme une sorte de jugement qui disait : «Si c'est pour travailler c'est bien, si c'est pour vous amuser, non.»  Et il y avait également un jugement de valeur d'un support par rapport à l'autre. Ce mélange est une tendance générale [Nantes l'a déjà appliqué, NdlR]. On n'a pas innové de façon décisive sur ce point, mais sur le maillage institutionnel.

Aujourd'hui, les bibliothécaires doivent se consacrer à leur métier qui est d'orienter, accompagner, accueillir le public.

De nouvelles bibliothèques vont ouvrir prochainement. Quelles sont-elles ?
Celle de Lacassagne est une création totale. Elle ouvrira en juin 2016 et voisine l'école Émile Cohl et un terreau d'étudiants d'arts. Elle aura une spécificité sur le jeu, fut-il de plateau ou vidéo, à emprunter ou utiliser sur place. Elle sera par ailleurs décloisonnée pour mieux coller aux usages actuels. On n'organise plus la bibliothèque en sections "jeunesse" et "adultes" mais en trois grands secteurs : apprendre  – qui remplace "jeunesse" –, découvrir – c'est ici que sont les documentaires par exemple – et temps libre – qui correspond au divertissement, à la fiction.

En 2017, celles de Gerland et du 6e arrondissement rouvriront dans de nouveaux locaux, avec une surface multipliée par 4 pour la première. Par ailleurs, celle de Vaise a rouvert le 15 septembre après travaux. Cela fait partie d'un programme de requalification de tous les accueils depuis deux ans, à l'occasion de l'automatisation du prêt et du retour.

Notre projet d'établissement affirme : «La bibliothèque plus que jamais.» Pourquoi en construire encore quand Google Books a numérisé 22 millions de livres ? Nous sommes complètement dépassés par cette offre. Aujourd'hui, les bibliothécaires doivent se consacrer à leur métier qui est d'orienter, accompagner, accueillir le public.

Numélyo n'est pas la bibliothèque numérique de la BML ; c'est la bibliothèque numérique de Lyon.

Cette automatisation est-elle aussi un moyen de faire des économies ?
Actuellement, toutes les bibliothèques qu'on a ré-ouvertes l'ont été sans aucune suppression de poste. Je ne vous dis pas que ça ne peut pas arriver, et on sait qu'on ne pourra pas créer à l'avenir cent postes comme cela a été le cas de 2000 à 2010. Nos avons été impactés par les baisses de budget de la culture, mais il n'y a pas eu de remise en cause de notre travail. L'automatisation est une réponse à cela. On est actuellement dans une autre époque. Que fait-on face à elle ? On pose les crayons en disant que c'est fichu ou on évolue avec un projet d'établissement ?

Quel bilan tirez-vous de Numelyo, cette plateforme d'archivage mise en place en décembre 2012 ?
Après avoir sous-dimensionné notre capacité de stockage, nous accueillons désormais les 400 000 livres imprimés que notre partenaire Google a numérisé. C'est plus que la Bibliothèque Nationale de France et c'est exceptionnel pour une bibliothèque municipale en Europe ! Maintenant, nous devons faire vivre Numelyo en le portant à connaissance et en attirant l'attention du plus large public, pour qu'elle ne soit pas réservée à quelques érudits.

La mission du service public est de restituer ce patrimoine aux Lyonnais et qu'il puisse les enrichir, en découvrant,  par exemple, les estampes réalisées par les immigrés italiens de la Guillotière au XIXe siècle. C'est pour cela qu'il y a désormais un onglet Célestins. À terme, il y en aura pour Gadagne ou l'Imprimerie. On va aussi travailler avec les Beaux-Arts sur leur exposition sur la Renaissance au XVIe. Car Numélyo n'est pas la bibliothèque numérique de la BML ; c'est la bibliothèque numérique de Lyon.


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