Ceci n'est pas un opéra

Ouvrir une saison d'opéra avec une œuvre aussi hybride que "La Damnation de Faust" de Berlioz peut dérouter. À cette aune, le metteur en scène David Marton a fait le bon choix, s'effaçant pour mieux en servir la richesse musicale. Pascale Clavel


Avec la Damnation, Berlioz s'attaquait à un mythe comme d'autres s'attaquent à l'Everest : avec la soif d'en découdre et l'obsession d'y être enfin. En bon romantique, autrement dit en bon désespéré du genre humain, il s'y inspire très lointainement du Faust de Goethe (par Gérard de Nerval interposé), condamnant le savant prêt à pactiser avec le Diable pour assouvir son appétit de connaissances là où l'auteur lui offrait un salut.

Fort de ce terreau dramatique exceptionnel,  Berlioz a ensuite, comme pour son Requiem et son Roméo et Juliette, pris le temps de laisser s'installer la féerie, travaillant d'une manière organique les voix et les instruments, jusqu'à en faire de véritables chairs et ossatures, enchaînant les tableaux comme autant de formes insaisissables, tantôt opéra, tantôt oratorio.

La discrétion selon Marton

Il y a du matériel dans cette œuvre pour un metteur en scène aussi doué que David Marton, le livret se révélant un véritable catalogue d'émotions, articulé autour des notions de pouvoir, de destinée et de rédemption. De fait, le jeune Hongrois signe là une mise en scène tout au service de la musique de Berlioz. Peut-être parce qu'il est lui-même musicien, Marton a su faire émerger pleinement l'excessive beauté de ses orchestrations, déclinant le plateau,  une fois de plus très contemporain (ici une route pour automobiles inachevée, là une incrustation vidéo), en diverses facettes de la condition humaine. Pour autant, le metteur en scène n'illustre pas bêtement le propos. Il abolit les conventions de l'opéra en douceur, posant simplement le spectateur en plein cœur du mythe. 

Pour la première, l'interprétation n'était malheureusement pas à la hauteur : démarrage un peu poussif, imprécisions entre la fosse et le plateau, quelques décalages un peu agaçants... Faust/Charles Workman lui-même a eu un moment de chauffe assez étonnant pour qui se souvient de ses prestations antérieures (notamment dans Les Stigmatisés). Les chœurs,  en revanche, étaient magnifiques. Mais on retiendra surtout le génial Méphisto de Laurent Naouri.

La Damnation de Faust
À l'Opéra de Lyon jusqu'au jeudi 22 octobre


<< article précédent
«La musique de Glass : une invitation à contempler» - Interview de Bruce Brubaker