La bête humaine


Ivan Messac (né en 1948 à Caen) sculpte ou peint habituellement des figures humaines, et l'on connaît surtout de lui sa série de tableaux Minorité absolue consacrée aux Amérindiens et débutée en 1971. Par un curieux retour sur sa propre biographie (son père, notamment, était ingénieur pour la SNCF puis pour les réseaux ferrés des États-Unis), ses dernières acryliques exposées à Lyon se concentrent sur la locomotive.

À vapeur ou diesel, l'engin impose sa masse fantomatique en fond de tableau, comme une trame, pour laisser, au premier plan, l'artiste expérimenter différents motifs abstraits et plans de couleurs. D'aspect sculptural et pop, ces œuvres jouent avec brio d'une tension entre figuration et abstraction, puissance brute de la machine et puissance pure de la peinture.

Elles entrecroisent deux dimensions fortes de l'exposition L'Art et la machine : la locomotive comme motif de représentation (chez Claude Monet, Alfred Stieglitz) dans la lignée de la Bête humaine d'Émile Zola, et l'abstraction comme possiblement inspirée par l'artefact mécanique. Ivan Messac a aussi fait partie du groupe dit de la Figuration Narrative, engagé politiquement dans les années 70-80 et rassemblant Jacques Monory, Bernard Rancillac, Erró...

On s'étonne d'ailleurs que l'exposition du Musée des Confluences n'évoque ce mouvement qu'à travers quelques œuvres mineures de Erró, alors même que ce dernier a composé de nombreuses toiles critiquant la bio-mécanique, l'enfer des chaînes de productions, la déshumanisation... Klasen, lui aussi, aurait été un "bon client" pour l'exposition à travers son travail sur les relations ambiguës entre corps humain et machines, ses séries de tableaux sur le processus d'extermination nazi ou encore sur la Colonie pénitentiaire de Kafka...

Chez Kafka, la machine éclate dans toute son ambivalence dans ses différents récits : machine à juger, à tuer, à écrire... Ou même à aimer ! Quand il rêve du facteur lui apportant les lettres de sa fiancée Felice, il relate : «Il me les tendait avec un mouvement d'une précision merveilleuse qui faisait sauter les bras comme les bielles d'une machine à vapeur.»

Ivan Messac
À la galerie Anne-Marie et Roland Pallade jusqu'au 5 décembre


<< article précédent
Warhol, l'artiste-machine