Avis de réception

Tout paraît si simple et beau dans les photographies de Pierre de Fenoÿl, que nous fait redécouvrir la galerie Le Réverbère. Se réclamant d'un art modeste de la réception, le photographe déploie cependant une approche subtile et épurée de la réalité, jusqu'à vouloir en révéler les dimensions cachées.


Après une première exposition remarquable en 2012 (Le miroir traversé ; voir chronique dans nos archives en ligne), la galerie Le Réverbère nous propose de redécouvrir l'œuvre de Pierre de Fenoÿl à travers un second volet, Paysages conjugués, rassemblant à la fois des images de son voyage en Égypte et des paysages français ruraux issus d'une commande de la Délégation interministérielle à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (Datar).

L'accrochage se risque à entremêler les deux séries et s'organise par grandes thématiques formelles : la géométrie sobre des arbres et des colonnes égyptiennes, des espaces plus compacts et des jeux subtils de clair-obscur, des images aux premiers plans voilés par des feuillages ou des écrans de fumée, etc. Encore une fois, au Réverbère, ce n'est pas l'objet qui donne le "la" de l'exposition, mais le regard d'un artiste-auteur, diffracté en plusieurs approches esthétiques, en plusieurs strates formelles.

Un artiste qui fut aussi iconographe, galeriste, commissaire d'expositions et directeur d'institutions (dont la Fondation Nationale de la photographie) ! La beauté simple de ses images pourrait paradoxalement nuire à l'évaluation de son œuvre, un regard distrait et trop rapide pouvant la juger purement esthétique et sans grande profondeur.

Or, s'il y a en effet chez Pierre de Fenoÿl une certaine modestie artistique – il répétait que l'on ne prend pas une photographie mais qu'on la reçoit, et se démarquait du geste artistique tel qu'on l'entend habituellement – son approche de la photographie se fonde sur des valeurs et des idées précises, comme l'indique Virginie Chardin dans la monographie qui lui est consacrée : «Partisan convaincu de l'autonomie du médium photographique, c'est le pouvoir de la photographie de révéler à la fois le réel et l'invisible, cher aux photographes primitifs et spirites du XIXe siècle, qui le fascine. «La vision photographique est un regard à travers le visible vers l'invisible, il s'agit d'une aptitude à se glisser à travers l'ordre caché des choses» confirme une citation de De Fenoÿl.

Au seuil du réel

Ce qui est souvent très touchant et singulier dans les paysages de Pierre de Fenoÿl, c'est un premier plan de feuillages et d'arbustes qui se déchire ou s'ouvre sur une profondeur, ou sur d'autres plans. Comme si l'image procédait par effets de seuils successifs, invitant le regard à suivre un chemin, un trajet visuel, une échancrure dans la réalité. Dans la monographie susmentionnée, on découvre par ailleurs une série d'images prises aux Châtelliers d'Anjou où des portes s'ouvrent sur d'autres portes, des espaces sur d'autres espaces et ce, potentiellement, à l'infini. La photographie s'y fait tout à la fois accueil, ouverture, dévoilement. «[La photographie] est un art de réception, et non un art d'extraction comme celui du peintre ou de l'écrivain qui doit extraire quelque chose de lui-même pour découvrir. Le photographe n'invente rien, il reçoit. Ce hasard photographique dépasse les photographes, toujours obligés d'attendre ce qui va être révélé et, à partir de là, de reconnaître la chose ou de ne pas la reconnaître» déclarait Pierre de Fenoÿl à l'écrivain Hervé Guibert en 1984.

Reste, comme le remarque Jacques Damez, co-fondateur du Réverbère, que cet art de la réception se déploie à travers des formes propres à Pierre de Fenoÿl : «La lumière s'écoule, met en pièces, organise des blocs compacts et impénétrables, l'abstraction jaillit sous le rythme de ses flaques d'ombre, les éléments flottent. L'imbrication de l'espace, de la surface et des profondeurs construit la magie d'une vision qui ne se contente pas du simple reflet du réel mais, par une volte-face, en analyse l'apparence.» L'œuvre subtile de Pierre de Fenoÿl rappelle ainsi ce qui, au fond, fait la force et la fragilité de la photographie : un art qui se frotte au réel et tente d'en pénétrer l'énigme, et un réel qui sans cesse lui échappe et le dépasse.

Pierre de Fenoÿl
Au Réverbère jusqu'au 31 décembre


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