Noblesse de l'Arlt

Duo si singulier qu'il parvient à désosser la langue, qui est pourtant un muscle, Arlt invente dans la déconstruction une nouvelle chanson française dont la noblesse est dans la démarche : bancale et incertaine, réaliste et insensée. Stéphane Duchêne


«Ça tremble et tout ce qui tremble est vrai» chantait le duo Arlt sur l'album Feu la figure. Ainsi est sa musique : elle tremble et elle est vraie. Elle est vraie parce qu'elle tremble. Parce qu'elle vibre et saute comme un nerf sous la peau, parce qu'elle roule des galoches à la langue française mais sans salive, à sec, comme pour la râper autant que la faire déraper, bien décidée à casser le moule de ce boulet au pied de la chanson francophone qu'est le (néo-)réalisme.

Ses paroles, Sing Sing (Florian Caschera, moitié masculine), les voit comme des riffs de langage. On pourrait tout aussi bien dire des rifts, séparant les phrases, coupant la narration comme on scinderait un continent. Un art de la découpe et du rafistolage où Arlt manie les vents contraires du souffle, les paradoxes linguistiques et les filouteries de la lo-fi comme personne.

En fait, la langue française intéresse moins le duo que la langue tout court et la musique qu'elle produit. Pas étonnant, dès lors, qu'il chante «Je ne sais plus de quoi on parle, si c'est de la mort qui vient ou bien si c'est du café qui brûle, si c'est de l'amour qui s'en va ou bien de quoi» sur Nous taire un peu,  extrait du récent Deableries.

Palais

Arlt, c'est donc un peu chanter comme une manière de se taire, de verbaliser le verbeux comme on lui colle une prune, de substituer le "o" de "sons" au "e" de "sens", de dessiner «sans [les] bras» avant de signifier, de faire de l'énonciation non pas un confort ou une pratique mais quelque chose d'aussi impraticable que son nom, une manière d'aller à l'essentiel en marchant sur le fil du superflu.

Quant à faire tenir cela ensemble, c'est tout un ar(l)t évidemment, qui fait la noblesse d'Arlt. À ce sujet, l'inénarrable Christian Laborde, auteur du dernier roman censuré en France (L'os de Dionysos, 1987) répète très souvent que «la noblesse est dans la bouche car elle est couverte d'un palais».

Mais la bouche, aussi noble et belle soit-elle, Arlt le sait, est aussi le royaume des bactéries, vibrantes et grouillantes. La langue en tant qu'organe, à la fois sensuelle et repoussante, et en tant que système linguistique, le siège de la poésie comme des pires saloperies.

Si bien qu'avec ses chansons en guenilles empreintes de la grâce aristocratique des hobos, Arlt fait office de cour des miracles autant que de miracle de cour. Gravissant et dévalant en un mouvement perpétuel les marches tremblantes du palais.

Arlt [+ Gammy Bird]
Au Sonic samedi 14 novembre


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