À chœurs et à cris

Punk dans l'esprit, gospel dans l'âme, le trio américain Algiers est l'auteur d'un premier album d'une combativité et d'une originalité assez miraculeuses. Il le défendra cette semaine, au sens premier, sur la scène du Kafé. Épiphanie garantie.


D'ordinaire, le gospel est l'un des chemins les plus courts vers Rome. Chez Algiers, il est l'un des plus pénibles. Juste retour des choses : apparu aux États-Unis au début du XXe siècle, ce chant spirituel fut, avant d'être un vecteur de liesse collective et une technique d'induction très prisée des zélotes de l'Évangile, l'expression de la souffrance et de l'insoumission des populations afro-américaines – au même titre que le blues, dont les prémices remontent à la même époque.

Originaire d'Atlanta, l'une des capitales de ce Sud profond à l'imaginaire aussi fertile que sa mémoire est aride, ce trio au bagage intellectuel inhabituellement rempli (ses membres aiment à disserter sur Baudrillard, Jodorowsky ou Malcom X) y a naturellement trouvé matière à dire le malaise d'une époque aux airs de reboot ségrégationniste – bien que son premier album ait été composé avant les bavures policières de Ferguson, Cleveland et Baltimore, il pulse d'une indignation difficilement contenue, d'un besoin de se déchaîner autant littéral que figuré. Mais c'est dans le post-punk qu'il a trouvé de quoi le faire entendre.

La jeunesse sonique est dans la rue

À la croisée de ces musiques contestataires, empruntant à la première sa ferveur, ses stomps et handclaps possessifs et ses harmonies d'une humiliante solennité, au second sa sauvagerie, ses guitares revêches et ses cris incontrôlés, celle d'Algiers avance comme un esclave en route pour quelque terre promise nordiste, le dos voûté mais le menton relevé.

Ce pourrait être Detroit, berceau de la contradiction sonore (sophistication soulful contre primitivisme rock) et des sonorités électroniques les plus fonctionnelles (comme on parlerait d'une fonction vitale), dont le groupe fait un usage charpentier, évoquant tour à tour le lyrisme gothique de Nick Cave (Blood, où à des rythmes-coups de fouet répondent des frémissements électriques), le doo-wop pour rat de studio de TV on the Radio (And When You Fall, tout en empilements et cavalcades) ou l'indus' peuplé de fantômes de Einstürzende Neubauten (Irony. Utility. Pretext, martial et bruissant de scansions comme une émeute). Et ne ressemblant au final à personne.

Surtout pas sur scène, où ses membres déploient un charisme et une intensité (en particulier le chanteur Franklin James Fisher, grande voix noire dans un corps de servant d'autel) tels qu'ils ne prêcheront bientôt plus qu'à des convertis.

Algiers [+ Tisiphone]
Au Ninkasi Kafé mardi 17 novembre


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