Quand l'Italie avait la berlue

Proches de nous mais peu audibles, les écrivains italiens ont à cœur de solder le lourd passif qu'ils entretiennent avec leurs récents dirigeants. C'est le cas du prolixe Paolo di Paolo dans son deuxième roman traduit en français, marqué du sceau d'un berlusconisme insidieux.


Depuis quelques années, la Grèce est au cœur de toutes les attentions,  sur le thème : comment des gouvernants politiques ont-ils pu mener leurs concitoyens au bord d'un tel précipice que le taux de suicide du pays a augmenté aussi vite que l'économie s'est dérégulée ? Si chez nos voisins italiens, la claque fut moins violente, il n'en demeure pas moins que le berlusconisme, qui a régné en maître sur les années 90 et 2000, s'est infiltré sournoisement dans les veines de chacun. Au point que l'homme d'affaires élu démocratiquement «était l'alpha et l'oméga de tous nos propos, la colle inépuisable qui unissait nos paroles» écrit Paolo di Paolo dans son nouveau roman, Où étiez vous –sans point d'interrogation, comme pour affirmer que tous furent d'une manière ou d'une autre à sa solde.

Unita

Le jeune romancier (32 ans), déjà bardé de prix dans la Péninsule, commence son récit à la date-clé de 1993, quand Berlusconi crée Forza Italia et entre en politique. Sans faire de didactisme, il raconte aussi et surtout la vie d'un enfant puis d'un adolescent tiraillé entre ses premières amours («des filles mal choisies») et son père prof, coupable d'un accident de la route impliquant deux élèves et qui trouve quelque sympathie à cette nouvelle icône starisée, par facilité.

C'est précisément cette faiblesse que Paolo di Paolo met à nu, dans un style parfois trop linéaire et descriptif mais qui parvient néanmoins à faire ressentir la démission idéologique d'un peuple ; comme un symbole,  l'ouvrage L'Histoire du socialisme italien, reçu en héritage d'un grand-père adoré dont l'ombre plane sur le roman, est juché en haut d'une étagère, inaccessible. Au passage, Paolo di Paolo rédige une ode vibrante à la presse papier  – de nombreuses coupures sont reproduites,  signes que le passé ne saurait être mis en doute.

Reste à savoir, dans un hypothétique prochain épisode, comment son personnage, justement étudiant en histoire contemporaine, deviendra adulte, à l'aune du très rance Mouvement 5 étoiles puis sous la gouvernance bien peu sociale du démocrate Matteo Renzi. Pour l'heure, dans le dernier chapitre, il se réfugie, comme une bonne partie des Européens, dans cet eden libertaire chaque jour gangréné par la standardisation qu'est Berlin.

Paolo di Paolo
À la librairie Decitre Bellecour jeudi 19 novembre


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