«Le théâtre est là pour changer les choses»

Au lendemain de la tragique nuit parisienne, Robert Lepage nous accordait une interview prévue de longue date.


Le massacre à Paris

«Je suis complètement atterré, surtout que j'étais dans le Marais deux jours avant. Chez nous, on est toujours doublement choqué. Ce n'est pas que vous êtes habitués en Europe, mais on est moins la cible de ce genre d'événements. En Amérique, quand il y avait eu le 11 septembre, le continent était vierge de ce genre de choses, c'était vraiment comme un viol. Cela me bouleverse. Je vous avoue que ce qui m'inquiète le plus en ce moment c'est l'ignorance qui va suivre. C'est là que notre métier d'acteur devient utile, il faut qu'on arrive à éveiller les consciences, et àéduquer les gens, leur faire comprendre qu'il faut réagir avec prudence et intelligence. Sinon, c'est la guerre de l'ignorance contre l'ignorance et on n'en sort pas. Des gens de théâtre pensent, dans ce genre de situation, être quantité négligeable et ils se retirent le temps que ça aille mieux. Au contraire, il faut prendre la parole, essayer de comprendre sans sauter directement aux conclusions».

La mémoire et 887

«"Je me souviens" est inscrit sur toutes les plaques d'immatriculations des voitures au Québec. Mais si vous demandez pourquoi aux Québécois, 99% ne le savent pas. Pourtant, c'est très important. Cela vient d'un poème qui disait «je me souviens d'être né sous le lys, de croître sous la rose», donc je me souviens d'être né sous le régime français et maintenant de grandir sous le régime anglais. J'ai été étonné de voir à quel point le Québec a la mémoire courte…Ce n'était pas du tout une lutte des francophones contre les anglophones, mais une lutte de classes contre les patrons. Et c'est devenu avec le temps quelque chose de beaucoup plus culturel. En même temps, j'étais gamin donc mon souvenir n'est pas intellectuel, il est émotionnel, intuitif».

La technologie

«Le fait que j'utilise un téléphone portable permet aux spectateurs de comprendre cette technologie, car ils connaissent cet objet. Mais je la pointe aussi du doigt pour dire que les problèmes de mémoire viennent en partie de là : on compte sur ces gadgets pour se souvenir des choses à notre place et il n'y a rien de plus dangereux. On avait l'habitude de manipuler la technologie pour lui faire faire ce que l'on voulait. Là, c'est elle qui nous manipule, connaît nos champs d'intérêts, nous envoie de la pub ciblée… C'est devenu très sophistiqué ; la technologie devient la mémoire de la société.»


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"887", la belle boîte à souvenirs de Robert Lepage