Lyon, une ville branchée au XVIe siècle

Réunissant 300 objets et œuvres d'art, l'exposition "Lyon Renaissance" retrace la vitalité de la création artistique à Lyon, "cœur de l'Europe", au XVIe siècle. Une époque de tous les possibles grâce, notamment, à l'intensité des échanges et des rencontres entre scientifiques, imprimeurs, artistes, penseurs, commerçants...


«Je vis ce beau Lyon, Lyon que tant je prise. / Son étroite longueur, que la Saône divise. / Nourrit mille artisans et peuples tous divers : / Et n'en déplaise à Londre, à Venise et Anvers, / Car Lyon n'est pas moindre en fait de marchandise, / Je m'étonnai d'y voir passer tant de courriers, / D'y voir tant de banquiers, d'imprimeurs, d'armuriers, / Plus dru que l'on ne voit les fleurs par les prairies.»

En 1558, dans Les Regrets, le poète Joachim du Bellay fait presque métier de sociologue de Lyon, ramassant en quelques vers les principales caractéristiques de la ville au XVIe siècle : une cité cosmopolite, nœud d'échanges commerciaux européens, foyer de l'imprimerie, si essentielle à l'essor et à la diffusion de la pensée humaniste... Les expressions "deuxième œil de France", "clé du royaume" ou "cœur de l'Europe" sont alors utilisées pour la désigner.

L'exposition du Musée des Beaux-Arts Lyon Renaissance n'a cependant pas vocation de rappel historique, mais se donne pour gageure de «brosser un panorama des arts à Lyon durant "le beau XVIe siècle",  pour reprendre l'expression d'Emmanuel Le Roy Ladurie» écrit Ludmila Virassamynaïken, commissaire de l'événement. Reste qu'une première salle est consacrée à ce contexte et que celui-ci demeure omniprésent tout au long du parcours, tant l'artistique et le non artistique sont liés à cette époque-là. La venue à plusieurs reprises de la Cour du roi (Charles VIII, Louis XII, François Ier...), les foires commerciales, l'établissement de marchands florentins sont, par exemple, autant d'occasions d'échanges créatifs, de commandes de portraits, de circulation de modèles... Les guerres de religion ont elles-aussi eu un impact, négatif cette fois-ci, sur le monde de l'art : une vague d'iconoclasme protestant fera disparaître, en 1562, nombre de tableaux d'histoire, d'objets liturgiques, d'architectures religieuses ou de sculptures...

Correspondances

Malgré des recherches universitaires toujours en cours, l'exposition propose une sorte de synthèse de l'état actuel des connaissances, à travers un parcours aux cimaises blanches émaillées de citations de poètes et d'écrivains, divisé en une petite dizaine de thématiques : l'humanisme et la redécouverte de l'Antiquité, les influences italiennes et nordiques, la diffusion des modèles lyonnais en Europe... La notion de création artistique dépasse ici largement le seul domaine de la peinture et s'ouvre à des champs très hétéroclites : gravure, orfèvrerie, céramique, mobilier, architecture... Et l'on se surprend soi-même à s'extasier devant une armoire hantée de figures sculptées diaboliques, un modèle gravé de poignée d'épée entrelaçant avec virtuosité des corps sensuels ou des saladiers de Gironimo Tomasi aux détails pour le moins érotiques !

«Étant donné que des pans entiers de la production artistique ont disparu ou ne sont pas encore identifiés 

écrit Ludmila Virassamynaïken dans le volumineux catalogue de l'exposition,

il aurait été aussi malcommode qu'artificiel de traiter de la Renaissance lyonnaise en se bornant à recenser le corpus existant (...) Le parti est donc autre : il consiste à mettre en valeur les qualités et les problématiques propres à ce beau XVIe siècle, qui constitue véritablement un moment d'exception et de renouveau, en tentant de rendre sensibles des correspondances d'un objet et d'une technique à l'autre. De fait, la circulation des idées et d'un savoir à un autre et la concorde des arts restent encore de mise à cette période...»

Reflets

Cette richesse des échanges transnationaux et cette interdisciplinarité font étrangement écho à notre époque où, après une période d'ultra-spécialisation, les initiatives transversales se multiplient, où la mondialisation est un fait accompli, où de nouvelles valeurs humanistes se cherchent ici et là, et où Internet fait figure de révolution dans les techniques de diffusion et de communication.... comme le fut l'imprimerie !

Dès le début du au XVIe, Lyon devint en effet l'une des capitales de l'imprimerie aux côtés de Venise et d'Anvers. Elle y est introduite en 1473 par des typographes allemands et suisses et les livres édités à Lyon (Sébastien Gryphe et Jean de Tournes sont alors les libraires-imprimeurs les plus connus), surtout profanes, sont diffusés dans toute l'Europe. Scientifiques et artistes de tous horizons collaborent souvent ensemble pour l'édition de certains traités, et le papier devient un grand lieu de rencontres et de mise en réseau. On pourra admirer notamment, au sein de l'exposition, un projet de traité ornithologique et des dessins d'oiseaux signés Pierre Eskrich aux traits et couleurs d'une vitalité impressionnante.

L'autre grand moment d'émotion esthétique consiste en la présentation d'une multitude de portraits de monarques ou de marchands lyonnais peints principalement par Jean Perréal et Corneille de Lyon. La modestie des dimensions des peintures, la sobriété de la composition et des fonds neutres, la beauté simple des visages, reflètent sans doute une certaine idée de l'homme, à la fois fragile et fier, inventée par la Renaissance.

Lyon Renaissance - Arts et humanisme
Au Musée des Beaux-Arts jusqu'au 25 janvier


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