Promenade en forêt avec Bae Bien-U

Le temps des vacances peut être l'occasion de découvrir les belles expositions des musées de nos voisins : Alexandre Séon à Valence, Georgia O'Keeffe à Grenoble ou, ici, Bae Bien-U à Saint-Étienne. Rarement exposé dans les musées français, le photographe coréen présente au MAMC des paysages tout simplement somptueux, tant sur le plan sensible que sur le plan formel. Jean-Emmanuel Denave


Quelles sont ces ombres longilignes qui se glissent parmi la brume, ploient légèrement parmi des halos de lumière, fantômes fragiles et puissants à la fois ? Ce pourrait être, au fond, des traits de peinture à la Franz Kline, des griffures d'espace pictural à la Hans Hartung ou des rythmes syncopés de plans à la Barnett Newman. En l'occurrence, il s'agit de troncs et de branches de pins photographiés par Bae Bien-U (né en 1950 en Corée), artiste pratiquant la photographie depuis les années 1970 et qui se concentre essentiellement sur le motif des forêts de pins depuis 1985.

Notre questionnement un peu forcé, hésitant entre image vivante et peinture abstraite, correspond pourtant bel et bien à la tension présente dans les photographies (souvent de très grand format horizontal) de Bae Bien-U : une tension entre nature et abstraction, entre expérience phénoménologique et émotion esthétique plus distanciée, entre incarnation et fiction imaginaire.

Pour parvenir à ses fins, le photographe distord son propre médium et déconstruit la perspective qui lui est, techniquement, inhérente : l'horizon est supprimé, le cadrage effectué à hauteur d'homme et resserré annule toute possibilité de vue d'ensemble ou de contextualisation. Les pins de Bae Bien-U n'ont souvent ni cime ni racines et le spectateur se voit ainsi littéralement immergé au milieu des choses : dans leur matérialité épaisse et, concomitamment, dans un pur jeu de lignes, de lumières, de nuances de gris, de surfaces étagées...

Espaces poétiques

Comme l'arbre en général en Europe, le pin a en Corée une dimension spirituelle et mythologique importante. Les pins sont, selon les mots du photographe, «les symboles des âmes du peuple coréen». Héritier de ce contexte philosophique ancien comme de la peinture de paysage traditionnelle chinoise ou coréenne, Bae Bien-U est aussi, et tout autant, influencé par l'art du XXe siècle, par les écrits sur la photographie du très moderniste Laszlo Mohology-Nagy par exemple. C'est sans doute cette faculté rare à entremêler des dimensions normalement disjointes qui nous frappe et nous touche particulièrement dans ses images : une spiritualité diffuse, une expérience sensible très directe, un jeu de formes abstraites moderne. On découvre ainsi, à travers ses images superbes, un monde dénué de toute présence humaine, où le vide (notion centrale pour les philosophies asiatiques) devient "visible", des espaces quasiment "purs" où le temps semble suspendu.

Bae Bien-U
Au Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne ​jusqu'au 31 janvier


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