Georgia O'Keeffe, force de la nature

Le Musée de Grenoble présente la première rétrospective française consacrée à la peintre américaine Georgia O'Keeffe. Et rappelle ses liens étroits et fertiles avec ses amis photographes : Alfred Stieglitz, Paul Strand, Anselm Adams... Jean-Emmanuel Denave


Comme le disait Camus de Sisyphe, il faut imaginer Georgia O'Keeffe (1887-1986) heureuse (même si l'on sait ses épisodes dépressifs). «Je suis heureuse, je veux tout du monde – le bon et le mauvais – l'amer et le sucré – je le veux tout» écrivait-elle. Immense ambition pour une artiste et immense modestie aussi puisqu'il s'agira moins de s'exprimer personnellement à travers son travail que de donner à voir "le monde" et ses forces enchevêtrées, tirant à hue et à dia, vers la vie comme vers la mort, vers la protubérance comme vers la désertification.

Chaque toile de O'Keeffe s'offre donc comme une métonymie d'un tout dont elle se voudrait être le médium transparent :

«Quand vous prenez une fleur dans votre main et la regardez vraiment, c'est votre monde pour le moment. Je veux donner ce monde à quelqu'un d'autre.» 

Entre 1918 et 1932, Georgia O'Keeffe a peint notamment plus de deux cents tableaux de fleurs (arums, lys, coquelicots...) d'une telle précision et d'un cadrage si resserré que ce "monde floral" semble nous envelopper, nous aspirer dans ses plis et ses replis, le duvet de ses surfaces incurvées, l'abîme de son labyrinthe de pétales en apesanteur. Les liens ici avec les photographies d'Imogen Cunningham sont évidents : mêmes angles de vue, même sublimation de la beauté et de l'érotisme de la nature.

Un souvenir de soleil

Mariée au photographe et galeriste Alfred Stieglitz, Georgia O'Keeffe a lié amitié avec nombre de représentants de la photographie pure (ou straight photography) : Imogen Cunningham donc, mais aussi Anselm Adams, Edward Weston.... Leurs influences réciproques rythment l'exposition du Musée de Grenoble qui présente autant de peintures (une trentaine) de l'une que de tirages vintage des autres. Tous ont eu cette foi dans la transparence de leur médium pour révéler la beauté, parfois inquiétante, des arbres, des falaises, des fleurs, des rivières, des nuages...

Georgia O'Keeffe lit aussi beaucoup le poète Walt Whitman et fréquente la communauté alternative de la ville de Taos où elle croise l'auteur de Lady Chaterley, D.H. Lawrence. Dans le sud-ouest américain, l'artiste trouve les motifs les plus intenses de son œuvre, ces «collines rouges faites de la même sorte de terre que tu mélanges à l'huile pour obtenir de la peinture», ces forces telluriques et inhumaines qui plissent les toiles comme les montagnes, arasent la surface des unes et des autres.

On dirait qu'O'Keeffe poursuit de l'autre côté de l'Atlantique la quête de Cézanne désirant «peindre la virginité du monde, ces sensations confuses que nous apportons en naissant... Tous plus ou moins, êtres et choses, nous ne sommes qu'un peu de chaleur solaire emmagasinée, organisée, un souvenir de soleil...» Avec un sens de l'épure qui lui est propre, Georgia O'Keeffe, comme lui, peint non pas les formes de la nature mais les forces qui y sont à l'œuvre, ces «forces qui à la fois nous composent et nous déchirent» (Yves Bonnefoy).

Georgia O'Keeffe et ses amis photographes
Au Musée de Grenoble jusqu'au 7 février


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