Legend

Célèbre pour son commandement bicéphale, le gang londonien des frères Kray donne à Tom Hardy l'occasion de faire coup double dans un film qui, s'il en met plein les yeux, se disperse dans une redondante voix off.


Ce n'est pas la première fois que les caméras sont appâtées par les hauts faits criminels des zigotos monozygotes de l'East End : la principale, sobrement titrée Les Frères Kray (1990) de Peter Medak avait pour interprètes les frères — non jumeaux — Gary et Martin Kemp, du groupe Spandau Ballet.

Cette nouvelle version signée Brian Helgeland, centrée sur leurs « années de gloire » combine réalisme méticuleux et rythme scorsesien, avec cette idée presque pédagogique de raconter le crime de l'intérieur dans sa frénésie ordinaire. Méthodique et linéaire, le film épouse l'existence de Frances, la compagne de Reggie, qui se fait la narratrice de ce biopic. Choix discutable, cependant : sa voix, qui mêle états d'âmes supposés, constatations, explications historiques, vient trop souvent polluer le récit par ses superpositions inutiles. Helgeland en fait souvent trop — voir Chevalier (2001) — et c'est encore le cas avec Legend qu'on raclerait bien de tous ces commentaires. Heureusement cela ne ruine pas le jeu de Tom Hardy…

Tom Hardy, par-delà le mal... et le mal

Erich von Stroheim, qu'un publicitaire des studios inspiré avait surnommé « l'homme que vous aimerez haïr », aurait-il trouvé son successeur britannique ? Depuis son affirmation en tant que comédien de premier plan dans le biopic Bronson (2009) de Nicolas Winding Refn — en taulard ultra violent, préfiguration des deux Kray —  Tom Hardy s'est fait le champion des rôles antipathiques, brutaux et sadiques. Tel De Niro jeune, il n'hésite jamais à s'imposer transformations physiques extrêmes ou enlaidissements, quitte à se rendre méconnaissable : le Bane masqué qu'il composa pour Christopher Nolan dans The Dark Knight Rises (2012) fit le film davantage que Marion Cotillard !

Coproducteur de Legend, il n'effectue pas pour autant un étalage démonstratif de ses talents en endossant le double rôle des jumeaux Kray. Sans virer à la performance, sa prestation veille à singulariser chacun des frères — Reggie le dandy et Ronnie le schizophrène — en marquant de fines nuances comportementales, en construisant des personnalités tangibles. Un travail d'orfèvre exécuté avec des outils de charcutier, qui le rend de plus en plus crédible en potentiel interprète d'un James Bond. Mais cette fois, pas dans le rôle du méchant… VR

Legend de Brian Helgeland (GB, 2h11) Avec Tom Hardy, Emily Browning, Paul Anderson…


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La voix sauvage des Inattendus