Etranger en pays étrange


Dans l'Exode de la Bible, version King James, Chapitre 2, verset 22, voici comment Moïse justifie de nommer l'un de ses fils Gershom : (qui signifie « étranger en ces lieux »)  : « For (…) I've been a stranger in a strange land ». Autrement dit, « un étranger en pays étrange ». Un homme de l'exil permanent.
L'expression inondera la pop culture. Donnant son titre, à des dizaines de chansons, des Byrds à U2, et surtout, à un fameux roman des années 60 de Robert Heinlein, comptant le retour sur terre d'un astronaute, seul survivant d'une mission sur Mars, qui d'un coup se sent étranger sur sa propre planète. Le pitch rappelle peu ou prou celui de L'Homme qui venait d'ailleurs, le film Nicolas Roeg qui fit de Bowie l'alien le plus classe de tous les temps.

Cet étranger, au vu de son parcours de vie et à l'écoute de ses disques, ce pourrait être Timothée Régnier aka Rover. Né en France, Timothée a grandi à l'étranger, de New-York à ce Liban dont il a été chassé comme un malpropre pour un problème de visa, atterrissant après un détour par Berlin seul en Bretagne, dans une maison familiale vide avec une vie à reconstruire et la sensation, après avoir parcouru le monde, de n'être nulle part chez soi.
C'est là que Timothée est devenu Rover et a façonné Aqualast comme on se construit une cabane ou une carapace. Pour se protéger mais aussi comme on pousse un cri dans l'espace. Un cri bien reçu par ses congénères puisque Rover a rapidement autant fasciné que le héros spatial du roman d'Heinlein, prophète inattendu en ce pays qu'il connaissait peu.

Pourtant sur Let it Glow, son second exercice, paru il y a peu, Rover semble plus énigmatique, insaisissable et étranger au monde que jamais. Sur la pochette, une rock star un peu irréelle et anonyme, qui contraste avec le jeune poète maudit qu'il semblait incarner sur Aqualast – quelque chose donc du Bowie extraterrestre.
À cela s'ajoute le paradoxe d'un album taillé pour l'espace mais entièrement enregistré en analogique, donnant l'impression d'une production fastueuse quand le musicien n'a fait que tirer le maximum de son inclination pour le minimalisme. Rétro-futuriste comme la lumière à retardement d'une étoile qu'on voudrait atteindre, ici et ailleurs à la fois comme l'étranger en pays étrange. SD

Let It Glow (Cinq7)


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