Quatre questions à Thomas Lilti autour de Médecin de Campagne


Que vous apporte l'exercice conjoint des carrières de cinéaste et de médecin ?
J'y trouve des points communs. Médecine et cinéma sont des arts du contrôle absolu, où rien ne doit vous échapper. Et, bien évidemment, il y a toujours quelque chose qui vous échappe… Mais il faut essayer d'en faire une force. En revanche, il existe une différence entre les deux carrières : la médecine m'a ouvert les portes du cinéma, cela a donné du crédit à ma démarche de réalisateur d'expliquer que j'étais médecin. Mais je n'ai jamais avoué faire du cinéma dans le milieu médical : ça aurait joué en ma défaveur…

Sachant qu'il a la réputation d'être un parfait hypocondriaque et le pire patient qui soit, qu'est-ce qui vous intéressait dans la figure du médecin malade ?
Thomas Lilti : On a tous vu des spécialistes en nutrition obèses, des cancérologues fumant deux paquets par jour : ils ne s'infligeraient pas une seconde ce qu'ils infligent à leurs malades ! Mais ce n'est pas l'argument du film : mon personnage a comme particularité d'être médecin de campagne et il se trouve qu'il est malade. Sa catastrophe est d'avoir à assumer sa maladie aux yeux de ses patients. J'ai rencontré des médecins dans cette situation : ils la vivent comme une honte, un secret. D'habitude, ils sont au-dessus de la maladie ; là, ils se retrouvent au même niveau que leurs patients. Ils perdent une partie de leur pouvoir magique. Ici s'ajoute une dimension plus terre-à-terre : l'idée que quelqu'un va s'occuper des patients qu'il suit depuis trente ans, dont il connaît tous les secrets. Or un médecin a rarement confiance en celui qui vient le remplacer.

Vous abordez de manière très frontale la problématique de la mort à domicile…
Ce sujet du grand âge me tient à cœur. Dans nos sociétés, il est difficile de maintenir chez eux des gens à qui il ne reste que quelques mois de vie ; l'hôpital signe souvent leur arrêt de mort. L'institution n'est pas la seule responsable : les familles elles-mêmes, démunies, préfèrent l'hospitalisation. J'ai pensé à ma grand-mère, morte à l'hôpital,  je sais que ce n'est pas ce qu'elle voulait. J'aimerais qu'on arrive à organiser mieux le maintien à domicile.

Pourquoi avoir présenté le rituel d'une toilette mortuaire ?
J'y tenais beaucoup : c'est le dernier geste que l'infirmière peut faire pour son patient, sa façon de dire au revoir. Quand il y a du rush dans un service, si une jeune croit bien faire en proposant de s'occuper des toilettes mortuaires à la place des autres, en réalité elle commet un blasphème : la dernière toilette est un moment trop important !



Propos recueillis par Vincent Raymond


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