High-Rise

L'architecture du chaos selon Ballard, avec Ben Wheatley en maître d'ouvrage servi par la charpente de Tom Hiddleston… Bâti sur de telles fondations, High-Rise ne pouvait être qu'un chantier prodigieux, petits vices de forme inclus.


En septembre dernier, le ministère de la Défense français emménageait dans ses nouveaux quartiers, à la froideur grise et géométrique, sur le site Balard. Au même moment était projeté à Toronto la première du film High-Rise, adaptation d'un roman publié en 1975 par J.G. Ballard, décrivant l'inéluctable échec d'un projet urbanistique. Lier ces événements synchrones autrement que par leur vague homophonie semble insensé.

Cependant, tous deux nous ramènent à cette éternelle obsession humaine pour l'édification ; ce tabou sans cesse transgressé depuis Babel par des créatures se rêvant créateurs, et fabriquant des citadelles… Mais laissons pour l'heure l'Hexagone-Balard : le film métaphorique de Wheatley a plus à dire que la grande muette — sur notre société d'hier, mais aussi sur la manière dont elle a accouché d'aujourd'hui.

La cité rageuse

Trouble mixte entre culte nostalgique pour un passé idéalisé et franche défiance vis-à-vis d'un futur instable, High-Rise revendique sans le dater précisément son ancrage dans les seventies. Jamais trop excentriques, décors et costumes portent la marque de ce temps révolu, instaurant cette distance favorable à la construction d'un conte philosophique : un cadre rétrofuturiste demeure suffisamment familier tout en étant assez distant pour accueillir une dystopie. The Lobster (2015) de Yorgos Lanthimos lorgnait (mal) sur le fantastique, High-Rise vise (mieux) la verticale : la ségrégation sociale se marquant ici avec l'altitude.

L'emménagement du héros effectué, ses navigations contrariées entre le sommet et la “base” révélées, le basculement dans la révolte, puis la régression sauvage sont trop brutaux — d'autant que l'on se disperse dans une multiplicité de points de vue. Certes, les pénuries d'électricité font office de déclencheur, mais la perception d'une lente fermentation dans les couches inférieures est loin d'être nette. Ce hiatus laisse penser que le réalisateur s'intéresse peu aux étages du bas : comme Marx le notable théorisait sur la misère ouvrière, Wheatley prend le parti symbolique des moins bien lotis, en s'attachant surtout à la classe dominante (ses fêtes, ses excès, sa déchéance). Cette impression est confortée par le traitement toujours grandiose et esthétisé de la décadence de la tour.

Heureusement, la fin porte une charge autrement plus politique : on entend en effet la voix de Margaret Thatcher vantant les mérites du capitalisme, alors qu'à l'écran s'envole une bulle de savon. La suite, on ne la connaît que trop : de même que les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, les bulles finissent toujours par éclater. Proverbes boursiers…

High-Rise de Ben Wheatley (G-B, 1h59) avec Tom Hiddleston, Jeremy Irons, Sienna Miller…


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