Ubu déchaîné

Et pourquoi pas remonter encore Ubu, ce despote plus attachant que bien d'autres plus réels ? Problème : la mise en scène est aussi fourre-tout que la scénographie. Et Stéphane Bernard s'expose bien seul aux vents contraires.


Gigantesque dépotoir, le décor de cet Ubu est très loin de la sobriété presque classieuse de la mise en scène d'Antoine Vitez (1985) mais elle a le mérite, même si elle pique les yeux, de faire évoluer les personnages dans cette merdre clamée d'entrée de jeu. De la terre, des détritus en tous genres, une flaque de facto boueuse jonchent le plateau au loin surmonté d'une colline qui semble faite de papier mâché. C'est ici que le Père Ubu se fait harponner par la Mère Ubu, véritable poissonnière qui porte la culotte et le pousse à attraper le pouvoir avant de s'offusquer que cette ambition n'ait plus de limites.

Mêlant diverses versions de la pièce-étendard de Jarry (Ubu roi donc, Ubu sur la butte, Ubu cocu), Christian Schiaretti qui étrangement ne signe pas ici la mise en scène mais assure la "direction" du spectacle choisit l'option potacherie, ou plus exactement fatrasie (pièces satiriques du Moyen-Âge) comme annoncé. Mais à quoi cela rime-t-il sur scène ? À une course échevelée sans queue ni tête avec des clins d'œil lourds à l'époque actuelle : le trésor est « offshore », les Polonais miment des migrants fraîchement débarqués à Lesbos ou Lampedusa et bredouillent une langue inconnue, Ubu veut être nommé maître des Finances à Paris « Bercy » comme si les éventails faits de portraits d'Emmanuel Macron n'avaient pas déjà précédemment surlignés que ce texte parle encore — un peu — d'aujourd'hui.

Trop plein

S'il n'est bien sûr pas condamnable de se référer à notre époque (les plus grands le font, à commencer par Ostermeier avec Ibsen notamment), encore faut-il que cela ne soit pas un empilement d'idées qui finissent par nuire à la compréhension même des dialogues, ici étouffés, quand ce ne sont pas les chansons des Palotins trop peu articulées pour être compréhensibles malgré le très bon accompagnement en live du multi-instrumentiste Marc Delhaye.

Avec une servitude remarquable à son personnage, Stéphane Bernard campe un Ubu aussi antipathique qu'attachant, tout comme il avait déjà été un parfait majordome dans Bettencourt Boulevard. Elisabeth Macocco, en revanche, souvent trop en force ne trouve pas sa place, pas plus que les autres comédiens qui semblent bien peu passionnés par leurs multiples partitions. Comment d'ailleurs Clément Morinière pourrait-il être convaincant dans le rôle d'un cheval avec une perruque de tresses africaines ? La magnifique course au ralenti et cette idée judicieuse de saisir une fenêtre cassée pour figurer un intérieur sont noyées dans les références pêle-mêle au flamenco, aux chants des supporters de foot ou même à De Niro qui finissent de rendre cette création aussi informe que le ventre d'Ubu.

Ubu roi (ou presque)
Au TNP du 26 au 29 avril puis du 31 mai au 10 juin


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