À l'ENSATT, trop égaux

Dans l'un de leurs trois travaux annuels de fin d'études, les jeunes acteurs de l'ENSATT livrent, avec leurs camarades des autres départements, un spectacle duquel aucun d'eux n'émerge vraiment, faute de variation du rythme.


« La démocratie est le pire des régimes à l'exception de tous les autres déjà essayés par le passé. » Quand Churchill déclare cela en 1947, Tocqueville n'est plus là pour l'entendre, lui qui, durant le siècle précédent, a interrogé avec minutie ce mode de fonctionnement, l'auscultant précisément aux États-Unis. Puisque sur le plateau de l'ENSATT, c'est De la démocratie en Amérique qu'il est question, la scénographie est inspirée de facto par les open space : immenses, terriblement propre(t)s avec bureau en bois pour le travail et entassement de poufs pour l'espace détente. Et une coursive en contrebas, fissure bien pensée, pour le préposé à la cuisine.

Tour à tour, onze comédiens expliquent à un stagiaire fraîchement débarqué, nommé Alexis et revêtu d'un costume XIXe, comment, au fil des siècles, le clergé a atténué le pouvoir des propriétaires fonciers, comment les roturiers puis les lettrés ont pris place dans la société jusqu'à ce que « le prix de la naissance baisse un peu. » Mais si ce texte choral permet de distribuer à chacun des rôles équivalents, leur immobilisme ne donne pas le souffle nécessaire à leur propos, à l'instar de la scène d'ouverture muette.

Grande sagesse

À la mise en scène, Laurent Gutmann semble signer un décalque — a minima — de ce qu'il a récemment fait avec Le Prince d'après Machiavel, transposé dans une agence de recrutement. Il alterne les séquences de texte philosophico-politique avec des exemples modernes (tel le choix très majoritaire de verrines vertes au profit des rouges pour illustrer en quoi l'opinion commune guide les choix individuels).

Ce systématisme nuit au rythme de la pièce, de même que l'incursion chantée qui, même au second degré et dénonçant à juste titre la bien-pensance à peu de frais des chanteurs de variété, sonne faux. Tout comme l'anecdote sur la chanson de Sting, Roxane, sortie de nulle part. Dans cet exposé, pourtant très intéressant, manque en fait le débat et la contradiction.

En toute fin de spectacle, lorsque l'un des personnages s'aventure en zone escarpée à l'avant plateau, convoquant la peur de ses camarades et fustigeant le tout-sécuritaire, notre ennemi quotidien, apparaît alors une prise de risque. Mieux, une émotion. Dommage que cela arrive un peu tard.

Égaux
À l'ENSATT jusqu'au vendredi 13 mai


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