Un manège endiablé

Souvent m'as-tu-vu, le théâtre de Bellorini ne fait ici, avec Liliom, pas exception mais trouve avec cette fable cruelle et lunaire un sujet qui sied parfaitement au goût assumé du spectacle de ce jeune metteur en scène. Une agréable surprise.


Jusque-là, Jean Bellorini nous a donné l'impression de faire un théâtre vieillot : jouer à sauter dans l'eau, chanter à n'en plus finir, éclabousser le plateau de couleurs (Paroles gelées d'après Rabelais, La Bonne-Âme du Se-Tchouan), totalement dégagé de la fureur qui aurait pu être le corollaire de sa jeunesse. En créant Liliom au Printemps des Comédiens (Montpellier) en 2013, rien n'a changé. Il livre un divertissement oscillant entre mélo et burlesque. Et ça marche !

Certainement que le choix du sujet — un jeune homme mi-voyou mi-tendre, travaillant dans les fêtes foraines, est jugé au tribunal céleste après un meurtre — y est pour beaucoup. Écrite en 1909 par le hongrois Ferenc Molnár, cette pièce que Fritz Lang a adapté pour son seul film "français" ressemble au Casimir et Caroline de Von Horváth qui sera publiée 23 ans plus tard. Bellorini n'a pas lésiné sur le décor qui mange tout l'espace scénique : un plateau d'auto-tamponneuses, une grande roue faite d'ampoules à l'arrière et deux carrioles à cour et jardin (pour les musiciens et pour le jeu).

Les enfants au pouvoir

Grimés en blanc, les comédiens introduisent d'emblée une distance avec les spectateurs qui se renforce avec la lecture des didascalies au point même de nous faire sortir du spectacle, parfois. À quoi sert d'énoncer des actions pour qu'ensuite, lorsqu'elles sont jouées, elles perdent toute force d'émotion ? Pas besoin de sketchs non plus (comme celui des deux policiers du ciel) pour que cette bluette d'un bad boy paumé nous touche. Car Bellorini a des acteurs de grand talent, à commencer par ce Liliom (Julien Bouanich) et son amoureuse (Clara Mayer), particulièrement juste quand elle annonce être enceinte et que, anxieuse de la réponse de son homme, elle court, traversant en diagonale le plateau comme une fugitive.

C'est quand il revient au cœur du propos et se débarrasse des apparats que Bellorini rend le mieux service à l'œuvre, comme il le fait aussi dans les derniers tableaux, ultra casse-gueules, se déroulant au paradis, finement mis en scène avec une très bonne utilisation de cette scénographie complexe et une voix-off qui trouve un sens. Malgré ses quelques travers, Liliom scelle, pour nous,  une sorte de réconciliation avec le travail de Jean Bellorini qui à 35 ans dirige, par ailleurs, le centre dramatique national de Saint-Denis (théâtre Gérard-Philipe) depuis 2014 et sera cet été à Avignon pour présenter en cinq heures la saga Karamazov.

Liliom
Au TNP jusqu'au samedi 21 mai


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