Les mots de passe de Mathilde Chénin

Qu'est-ce qui fait tenir un ensemble, qu'est-ce qui nous rassemble, comment inventer du commun ? Telles sont les questions de Mathilde Chénin qui utilise de drôles de formes artistiques pour y répondre.


Ce qui se passe "entre", dans les interstices, aux confins de deux sujets ou de deux objets, est sans doute ce qu'il nous est le plus difficile de penser. Pour bien des raisons et, parmi celles-ci, parce que l'on tient à notre individualité et à notre autonomie comme à la prunelle de nos yeux bornés, on veut bien concevoir qu'entre les individus il y ait éventuellement contact intermittent, interaction ; mais de là à accepter des liens et des relations constants et à géométrie variable, il ne faudrait pas pousser !

Pourtant, et heureusement, certains artistes nous poussent justement à regarder sans œillères individualistes vers ce qui fait sens commun, collectif, partage, entre-deux... Sans en faire pour autant l'hagiographie, mais pour en explorer les formes, les possibles, les devenirs. C'est le cas, par exemple, de Mathilde Chénin (née en 1980 à Villeurbanne) qui, dans ce but, utilise des médiums très différents : la performance, la forme chorégraphique, les langages informatiques... « Au sein de ma pratique, écrit-elle, j'explore au moyen d'écritures élargies et performatives qui naviguent entre corps, outil et langage, les formes créées par l'être-ensemble, par la co-présence de celles et ceux qui partagent un même espace et une même temporalité. […] Il s'agit à chaque fois d'interroger le caractère tangible et imperceptiblement dense de l'espace immatériel qui nous sépare et qui nous relie. »

Post-it

À la BF15, Mathilde Chénin présente Histoires des ensembles, 2002-2016, une singulière constellation composée de post-its de couleurs sur lesquels sont tracés des mots par petits ensembles thématiques. On y lit par exemple : « Frénésie-Goût délicieux-Morsures-Frisson-Étincelle-Glissade-Toboggan », ou bien « Clinamen-Écart-Hasard-Accident-Création-Entrelacs »... 

Tous ces mots éparpillés sur les cimaises proviennent de carnets de notes de l'artiste, tenus lors de différentes expériences collectives qu'elle a vécues entre 2002 et 2016 : un espace autogéré à Dijon, une communauté zapatiste au Mexique, une coopérative de recherche artistique à Clermont-Ferrand... Ce sont des traces et des indices du fonctionnement et des questionnements de ces différents groupes. Avec les post-its mis en espace, les mots deviennent des objets quasi matériels, disponibles pour de nouveaux agencements, ouverts à d'autres utilisations.

On s'étonne à prendre du plaisir à les parcourir en différents sens, à être saisi par l'un ou par l'autre... En "objectivant" les mots et en les faisant danser sur les cimaises, Mathilde Chénin matérialise des relations, des échanges, des pensées collectives. Et du coup, on "voit" différemment les ensembles : on y voit du jeu possible, du bricolage et des agencements nouveaux. Bref de l'élasticité, de la souplesse et un peu de liberté.

Mathilde Chénin, Histoires des ensembles, 2002-2016
À la BF15 usqu'au 30 juillet


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