Le rôle du cinéma et de la télévision dans le regain de popularité rencontré par l'œuvre de Jane Austen est indubitable : la prodigieuse quantité d'adaptations — qui elles-mêmes ne l'étaient pas toutes — déversées sur les écrans depuis une vingtaine d'années a contribué à la postérité contemporaine de l'auteure britannique au-delà du périmètre des lecteurs avertis et des anglophones.
La surexposition de Orgueil et Préjugés, Raison et Sentiments ou Emma a cependant eu comme corollaire étrange de restreindre la notoriété de ses écrits à ces quelques titres, abandonnant les autres à une ombre plus épaisse encore. En un sens, c'est heureux que personne ne se soit emparé de Lady Susan avant Whit Stillman : il a eu le bonheur de travailler sur un matériau vierge de tout repère. Et de façonner “son” image de Lady Susan.
Celle-ci épouse les traits merveilleux — comment pourrait-il en être autrement, puisqu'il s'agit d'une coureuse de beau parti, fine manigancière au physique envoûtant — de Kate Beckinsale. Il y a une autoréférence malicieuse et cohérente dans ce choix d'actrice, comme dans celui de Chloë Sevigny pour incarner sa confidente : Stillman reconstitue son duo des Derniers Jours du disco (1998), accréditant l'idée dans l'esprit du spectateur d'une complicité ancienne et naturelle entre ces deux (encore) jeunes séductrices.
Au-delà de sa splendeur physique, le personnage de Lady Susan est séduisant par son esprit et sa rouerie : drôle dans ses traits et répliques qu'envierait Oscar Wilde, sa capacité à tirer avantage de ses infortunes, sa faculté féline à retomber sur ses coussinets. Habillée d'impassibilité soyeuse, cette femme fatale avant la lettre ourdit des péripéties d'autant plus jubilatoires qu'elle a tout pour se faire haïr (de l'intelligence à l'absence d'amour maternel, en passant par l'ambition), et qu'elle se trouve encerclée par une gent masculine brillant par sa stupidité.
Stillman use d'un classicisme à la Resnais — c'est-à-dire profondément moderne — en insérant des cartons présentant les personnages, qui contribuent à instiller un humour à froid divergé, souterrain. On peut ainsi “lire” le film comme une respectueuse adaptation en costumes faussement guindée, ou bien s'amuser à déceler les jeux sur les non-dits, allusions, mensonges, parades et fuites à l'anglaise. Quelle que soit l'option, le plaisir est exquis.
Love & Friendship de Whit Stillman (Irl/Fr/PB, 1h30) avec Kate Beckinsale, Chloë Sevigny, Xavier Samuel…