La Tortue rouge

Présenté en ouverture du Festival d'Annecy après un passage à Cannes dans la section Un certain regard, ce conte d'animation sans parole mérite de faire parler de lui : aussi limpide que la ligne claire de son trait, il célèbre la magie de la vie — cette histoire dont on connaît l'issue, mais dont les rebondissements ne cessent de nous surprendre.


Le Néerlandais Michael Dudok de Wit aura pris tout son temps avant de franchir le pas du long-métrage. Pourtant, il devait se douter que, loin de l'attendre au tournant, le public ayant découvert — et apprécié — ses films courts multi-primés Le Moine et le Poisson (1994) ou Père et Fille (2000) avait grand hâte de voir sa poésie muette empreinte de tendresse se déployer dans la durée.

Étonnamment, c'est du côté des studios nippons Ghibli que l'ancien résident de Folimage aura trouvé asile — il s'agit au passage d'une belle ouverture pour la maison fondée par Takahata et Miyazaki, qui n'avait jusqu'alors jamais accueilli d'auteur non-asiatique. Une collaboration somme toute logique : Dudok de Wit se trouve en parfaite communion philosophique et spirituelle avec ses aînés, chantres comme lui d'une relation pacifiée, d'une osmose retrouvée entre l'Homme et son environnement.

Ce film peut se lire comme une fable déterministe portant sur le sens de l'existence : la vie est donnée telle une île sur laquelle on accède par accident comme le héros, où l'on demeure pour accomplir une tâche inconnue, aiguillé par une entité magique (le doigt du Destin). Pas de catéchisme pour autant : il ne s'agit pas ici de s'agenouiller pour s'émerveiller ou se repentir, mais d'agir pour protéger, réparer et perpétuer la vie. Si mission il y a, elle est dirigée vers un accomplissement heureux, une élévation quiète plutôt que vers l'adoration stérile. La Tortue rouge est d'ailleurs aux antipode de l'idolâtrie : rien dans sa maîtrise ni sa beauté n'est ostentatoire ; son exquise forme reste discrète pour ne pas parasiter la délicatesse de son récit.

Cinquante nuances d'eaux

Ouvrant le film dans des vagues monumentales qu'Hokusai aurait sans doute rêvé peindre, l'eau est à ce point omniprésente dans La Tortue rouge et sous toutes ses déclinaisons — salée, douce,  translucide, boueuse, en pluie, en trombe ; pareille à une menace ou, au contraire, comme un océan de potentiels — qu'elle en gagne le statut de personnage secondaire.

Barrière mouvante retenant prisonnier le héros sur son île, source de son naufrage puis de la survie de ce Sisyphe des mers, l'élément liquide n'est pas spécialement esthétisé ni donné à voir comme possédé par quelque esprit anthropomorphe qui soit. Mais de cette eau inanimée se dégage une stupéfiante illusion de vie. Et un message cristallin à la portée de tous.

La Tortue rouge de Michael Dudok de Wit (Fr/Bel, 1h20), animation


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