La bestialité rampante selon Sarkis Tcheumlekdjian

En choisissant le texte retors et politique du suisse Max Frisch sur la montée du fascisme, Sarkis Tcheumlekdjian poursuit son travail empreint de symbolisation adossé à un texte plus pragmatique qu'auparavant. Bonne idée !


Grimée comme une poupée de foire, joues roses, couettes en suspension, Barbeline a une attitude — dont elle ne se déparera pas au fil de cette création — de petite fille qu'elle n'est pourtant plus. Sa gestuelle est même celle d'un bébé qui découvre son corps et le contorsionne. Peut-être cela trahit-il l'angoisse qui rôde dans cette ville imaginaire d'Andorra, synthèse d'autres lieux pas plus spacialisés que la temporalité de l'action n'est indiquée.

Les casaques noires s'apprêtent à attaquer les maisons toutes blanches d'à côté, le bruit des bottes se rapproche. Sarkis Tcheumlekdjian, qui s'est par le passé déjà intéressé aux exclus (les bohémiennes dans Macondo d'après Garcia Marquez), trouve là un texte qui s'inscrit parfaitement dans son parcours théâtral lui permettant de ne pas renier son esthétique de masque voire de clowns tout en se débarrassant d'apparats parfois encombrants : ses personnages étaient surchargés de costumes, de postiches.

Ici point de tenture, mais au contraire un jeu de transparence avec des seuls montants de portes pour délimiter l'espace de jeu des coulisses à vue dans la relative obscurité qui baigne le plateau.

Tous les rats sont gris

Peu à peu, la faiblesse des hommes prend toute la place. L'instituteur, père de Barbeline, a soi-disant sauvé le jeune Andri d'une terre belliqueuse et en a fait un réfugié — accepté par les uns, particulièrement malmené par d'autres — pour ne pas avoir à avouer une relation extraconjugale dont cet homme est le fruit. La question du racisme, de la définition d'une appartenance et de la multiplicité des racines (les Gaulois et tous les autres)... tout résonne avec ce qui se disait hier et presque plus encore aujourd'hui.

Tcheumlekdjian n'a pas besoin de contemporanéiser le propos par une mise en scène réaliste qu'il fuit jusqu'au bout et cette très belle image de l'homme rendu à l'état animal. Seul bémol à ce travail rigoureux : un rythme qui s'étire de plus en plus dans l'enchaînement et au cours des séquences, lestant un peu cette écriture qui, puisqu'elle a toujours une longueur d'avance sur les protagonistes, aurait pu être transposée avec plus de nerf.

Andorra
Aux Célestins jusqu'au 8 octobre


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