"Voyage à travers le cinéma français" : c'était sa première séance

Bertrand Tavernier raconte son rapport affectif aux films qui l'ont construit, dévoile son Panthéon intime. Édifiant, enthousiaste, touchant : trois quarts de siècle d'un compagnonnage actif avec le cinéma, à tous les points de vue et d'écoute.


Bertrand Tavernier ne pouvait choisir meilleur public que celui du Festival Lumière — manifestation organisée par l'institut homonyme, qu'il préside, dans la ville où il est né — pour présenter les premières séances du documentaire-somme retraçant son parcours. Car davantage qu'une audience acquise, celle-ci se révèlerait surtout réceptive au projet de ce ciné-fils/cinéphile, l'accompagnant bien volontiers dans l'exploration de sa mémoire d'ogre.

Promis depuis des années, ce Voyage dans le cinéma français offre un retour très personnel aux sources primitives de sa passion pour l'écran d'argent ; aux origines de sa curiosité fervente et contagieuse, devenue avec les années prosélytisme chaleureux en faveur de tous les types de cinémas, peu importent les chapelles, du moment qu'ils lui apportent du plaisir — son emploi immodéré du superlatif absolu et de l'épithète “formidable” est d'ailleurs légendaire.

Oncle Tatave, celui qui se souvient de tous les films

Tout aussi prodigieuse se révèle sa mémoire cinématographique, presque indissociable du contexte folklorique des séances qu'il ressuscite : le voisin faisant chauffer des petits pois sur un réchaud à gaz, la strip-teaseuse de l'entracte — pour évoquer les plus baroques. Si chaque film correspond chez lui à un éblouissement réel, le choc initial est lié à la vision de Dernier Atout (1942) de Jacques Becker — pas étonnant que le plus polyvalent des auteurs français ait à ce point marqué le jeune Bertrand, dont la filmographie personnelle témoignera plus tard d'un éclectisme rare.

De fil en aiguille, en commentant des extraits judicieusement montés, Tavernier passe ensuite à Renoir, Carné, Gabin, Jaubert, Kosma, Prévert, Constantine, Sacha, Sautet ; montrant au passage que les acteurs ou les compositeurs effectuent les liaisons souterraines entre les œuvres et les auteurs, tissant des réseaux complexes dans l'immense corpus du cinéma français. Le cinéaste se raconte sans se vanter dans ses premiers pas en admirateur de Gréville, en assistant de Melville ; en cinémathécaire précoce, aussi, sauvant de la destruction des bobines. Sa bienveillance coutumière n'empêchant pas la lucidité, il fustige ainsi le comportement déplorable de Renoir pendant la Guerre, et lance quelques piques en direction de Carné ou Melville.

Nul besoin d'être un spécialiste pour apprécier ces 195 minutes d'évocation fascinantes et fascinées du cinéma qui s'écoulent comme un enchantement : il suffit d'ouvrir ses yeux, ses oreilles, son cœur. Et de comprendre l'importance d'avoir la mémoire longue.

Voyage à travers le cinéma français de Bertrand Tavernier (Fr, 3h15) documentaire avec la voix d'André Marcon


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