Le don d'ubiquité

Les formes du silence réunit quatre artistes contemporains au Couvent de La Tourette, et des œuvres qui, subtilement, dialoguent avec les espaces du Corbusier et en ouvrent, virtuellement, beaucoup d'autres...


Au Couvent de La Tourette, sur les murs de béton brut du Corbusier, d'œuvre en œuvre, les objets et les figures disparaissent peu à peu, les formes bien définies se dissolvent insensiblement, pour laisser place à de "pures" sensations mouvantes de couleurs et de lumières...

À partir des créations de quatre artistes contemporains de différentes générations, le frère Marc Chauveau tisse à travers les espaces du couvent un subtil labyrinthe à la fois imaginaire (on peut s'y projeter dans d'autres dimensions, ouvrir notre perception à d'autres espaces virtuels) et extrêmement concret (les œuvres, souvent abstraites, nous confrontent à leur matérialité, à leur factualité élémentaire).

Et toute l'exposition maintient cette tension, incessante et dynamique, entre présence brute des choses et glissement progressif des perceptions, entre répétition et différence, entre un "étant donné" et un "étant dérivé"... Les formes y deviennent vivantes et mouvantes, mais ne se figent jamais en images, ou en significations définitives. En cela, elles demeurent silencieuses.

Seuils

Ces glissements et cette tension sont évidents dans les installations lumineuses du plasticien français Michel Verjux (né en 1956). Au fond d'un petit couloir en pente, l'artiste a simplement projeté un carré de lumière qui joue en contrepoint avec une autre source de lumière "naturelle" et avec une perspective d'encastrements successifs. Avec une grande économie de moyens, Michel Verjux à la fois souligne et ajoute, s'intègre au réel des lieux et l'ouvre. Son carré blanc lumineux devient comme une "suite" spatiale, une note ajoutée à une partition déjà existante, une fugue... À partir d'éléments lumineux géométriques très simples (ellipses, cercles, carrés et rectangles), Michel Verjux "déplace" notre perception et notre déambulation, tout en finesse et en douceur.

Et c'est aussi ce que font, cette fois-ci dans l'espace même de leurs tableaux, les peintres Geneviève Asse (née en 1923 à Vannes) et Jaromir Novotny (né en 1974 en Tchéquie). Celui-ci fait insensiblement vaciller l'abstraction géométrique vers des formes un peu irrégulières, des décalages, voire des décadrages... Geneviève Asse fait se dissoudre couleurs et lumières sur ses toiles pour les ouvrir à d'autres possibles. C'est une peintre de "l'entre-deux" : « Je peins entre les choses... l'espace qui est entre une ligne et une autre ligne » a-t-elle pu déclarer. Ni dehors, ni dedans, mais une peinture de la vibration, des seuils, du devenir...

Fuites

Chose plus étonnante encore, l'exposition parvient à inclure aussi un médium, plus "lisse" et lisible, comme la photographie, pratiquée par Friederike von Rauch (née en 1967 en Allemagne). Son travail, influencé, sans doute, par l'École de Düsseldorf (les Becher et leurs héritiers), montre des architectures intérieures avec une frontalité et une précision géométrique ultra rigoureuses. En dépit de cet apparent "esprit de sérieux", quelque chose très vite se met à fuir dans ses images : vers la peinture, vers la sculpture, vers les autres œuvres présentées à côté, ou encore vers l'architecture de la Tourette...

Utilisant une chambre photographique, l'artiste ne modifie jamais ses tirages ni ses cadrages, et ne joue d'aucun artifice. Dans l'obscurité ou au contraire dans des lumières blanches intenses, les espaces, pourtant, se dissolvent eux-aussi peu à peu vers des topologies imaginaires et énigmatiques... « Les murs se referment, la route seule nous éclaire » écrivait le poète André du Bouchet.

Formes du silence
Au Couvent de La Tourette à Eveux jusqu'au 11 décembre


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