L'Envers du décor : Culture de Courgette

Après avoir dévoilé l'univers de Wes Anderson et son Grand Budapest Hotel, le Musée Miniature & Cinéma épluche celui de Courgette, tourné à quelques arrêts de bus de là. Quand on dit que le circuit court a du bon…


Dix années. C'est la durée qui s'est écoulée entre la découverte par Claude Barras du roman de Gilles Paris et la sortie du film qu'il lui a inspiré. Une décennie, quasiment une petite vie, pour concevoir et accomplir une œuvre dont chaque seconde aura nécessité d'être disséquée en une suite d'images minutieusement composées, photographiées, puis rassemblées pour donner l'harmonieuse illusion du mouvement…

Un film en stop motion est, décidément, une drôle d'espèce cinématographique, ontologiquement contrariante : non seulement il dévore des quantités absurdes de temps pour en restituer une quintessence par la ruse, profitant de notre rémanence rétinienne ; mais en plus, il fait disparaître toutes les traces apparentes de sa chimérique création. Résultat ? Après la phase de tournage, poupées-marionnettes et décors sont rendus à leur état d'objets inanimés… c'est-à-dire inutiles, et promis à la destruction.

Les précieux éléments de Ma vie de courgette auraient connu ce funeste destin si l'un des producteurs Marc Bonny, en voisin lyonnais du Musée Miniature & Cinéma, n'avait décroché son téléphone durant les prises de vues au Pôle Pixel, et suggéré à l'équipe de Dan Ohlmann le projet d'une exposition. Une bienheureuse inspiration qui a reçu un accueil des plus chaleureux, et bénéficié de l'inventivité de Laurie Courbier, la commissaire de l'exposition qui a su mettre en valeur ce trésor “sauvé de la benne”.

Une bibliothèque de sourires

Deux salles dédiées au film accomplissent ainsi le prodige de rendre compte de l'ensemble des ambiances du film à travers neuf décors impeccables, parfois monumentaux — la maison d'enfance de Courgette ou le chalet à la montagne, impressionnant. L'examen approfondi de chacune des pièces présentées (dans un état remarquable) laisse entrevoir les indices de la manipulation, tels que les trous où étaient fichés les personnages sur le stand de la fête foraine. Plus que des œuvres figées dans leur respectabilité muséale, les éléments exposés s'affichent comme les vestiges encore tièdes d'un processus artistique. Et leur finalité se révèle au moyen de petits écrans intégrés dans les décors, diffusant les séquences où ceux-ci interviennent.

Complément indispensable pour qui s'intéresse aux techniques d'animation, des reportages précis réalisés sur le tournage (façon making of) instruisent sur cet art de la patience et de la méthode, ainsi que sur la fabrication des marionnettes — des mines d'innovations ayant nécessité des collaboration multiples à travers l'arc alpin afin que le squelette articulé puisse être revêtu de têtes imprimées en 3D magnétisées et de membres en silicone.

Si l'on est étonné par les “bibliothèques” de sourires, garantissant la fluidité des expressions aux poupées, on ressent une émotion singulière devant l'exemplaire personnel du livre de Claude Barras, jouxtant les dessins du story board. Plié, corné, comme ridé par ses dix années d'usage intensif, il est le témoin muet du grand œuvre accompli.

Appelée à voyager (la scénographie sera différente au Musée de Carouge qui l'accueillera en mai 2017, puisque tout ici a été construit sur mesure), cette exposition prolongeant la magie du film sans la dissoudre, fera peut-être des émules dans le domaine du stop motion : lors du vernissage, on a aperçu un cinéaste plus que fasciné par cette technique. Ça tombe bien : il prépare un film…

L'Envers du décor du film Ma vie de courgette
Au Musée Miniature & Cinéma jusqu'au 2 avril www.museeminiatureetcinema.fr


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