La Mort de Louis XIV

de Albert Serra (Fr-Esp-Por, 1h55) avec Jean-Pierre Léaud, Patrick d'Assumçao, Bernard Belin…


1715. Usé, fatigué, vieilli, Louis XIV n'est plus que l'ombre du Soleil ; un blafard souverain emperruqué rejouant pour sa Cour les rites et les jours, qu'une douleur à la jambe vient subitement clouer au lit. Impuissants à le soulager, ses médecins (ou médicastres) assistent à la progression de la gangrène, à son agonie puis son trépas…

Mâchoire qui clappe, voix de gorge nasillarde aux limites du compréhensible, œil éteint et teint cireux… C'est une idole sur le déclin, attaquée par les années ; un vestige vivant qui claudique à l'écran avant d'être contraint à l'immobilité quasi totale — ne demeure mobile que la main, exécutant ses caractéristiques moulinets — et se désagrège sous nos yeux. Des fins de vies ou de règnes, on en a déjà vues, mais Serra a eu l'idée tant prodigieuse que terrible de convaincre Jean-Pierre Léaud, l'ultime incarnation du cinéma de la Nouvelle Vague, d'endosser la défroque déliquescente du roi à l'article de la mort. Ajoutant à son évocation historique crépusculaire fascinante malgré (ou à cause de) sa langueur une résonance contemporaine d'une étrange symbolique.

Car cette figure de la modernité d'alors se retrouve ironiquement figée dans un surclassicisme à l'élégance inattaquable : Serra signe une succession de tableaux posés, de plus en plus resserrés (Louis XIV ne quitte plus son baldaquin, forcément) et composés dans un style évoquant les clairs-obscurs de Rembrandt — dont, évidemment La Leçon d'anatomie du docteur Tulp. Monarque absolu ayant fait de son existence un spectacle, Louis XIV subit la spectacularisation de sa disparition, jusqu'à sa dépouille, admirativement disséquée. Au fait, que deviennent les affaires politiques pendant que la question médicale prend le dessus ? Elles passent doucement au second plan — mais là, rien de nouveau sous le Soleil…


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